19 millions, un procès… et toute une République à l’épreuve

Ce mercredi 9 juillet 2025, la Cour de cassation a ouvert une procédure judiciaire aux allures explosives. Au cœur de cette affaire : Constant Mutamba, ancien ministre de la Justice et figure de l’opposition politique congolaise. Il est poursuivi pour le détournement présumé de 19 millions de dollars américains destinés à la construction d’une prison à Kisangani. Si l’accusation est grave, les premières heures du procès annoncent une bataille autant juridique que politique, où chaque détail de procédure pourrait peser lourdement dans l’opinion.
*Une ouverture de procès sous tension*
L’audience s’est ouverte en l’absence du prévenu, une situation que ses avocats ont rapidement tenté d’exploiter. Ils ont demandé un renvoi, arguant d’une part la nécessité de sa comparution personnelle, et d’autre part, le besoin légitime de prendre connaissance du dossier. Ces arguments, bien que classiques en défense, ont été fermement rejetés par la Cour, qui a rappelé que la comparution personnelle n’est pas obligatoire en dernier ressort, et que la procédure suivie ne permettait pas ce type de requête à ce stade.
Au moment où le Procureur général entamait la lecture de l’acte d’accusation, Constant Mutamba a fait son entrée dans la salle d’audience, s’excusant de son retard. Il a comparu « à titre conservatoire » et a été brièvement identifié avant que ses avocats ne soulèvent un préalable de forme : selon eux, la citation à comparaître aurait été irrégulière, car signifiée non par l’Officier du Ministère public — comme le prévoit la loi pour un justiciable bénéficiant du privilège de juridiction — mais par le greffier en chef.
Après un échange technique entre les avocats, l’Officier du Ministère public et les juges, la Cour a renvoyé l’affaire au 23 juillet 2025, sans entrer dans l’instruction proprement dite.
*Trois lectures possibles de l’évolution du dossier*
L’évolution de cette affaire pourrait prendre plusieurs trajectoires, chacune ayant des implications politiques et institutionnelles profondes :
1. Une instruction rapide et un procès équitable
Si la Cour décide de respecter strictement les principes du contradictoire et du droit à la défense, le procès pourrait établir la vérité sans précipitation. Ce serait un signal fort en faveur d’une justice indépendante et respectueuse des procédures.
2. Un procès expéditif et une condamnation politique
Si les formes légales continuent à être contestées mais ignorées, et que l’instruction tourne court, une condamnation rapide de Constant Mutamba pourrait être perçue comme une manœuvre pour écarter une voix critique du régime, avec toutes les conséquences en termes de polarisation.
3. Un report prolongé ou une issue négociée
Dans un pays où les équilibres politiques sont fragiles, une issue de compromis, sous forme de reports successifs ou de manœuvres procédurales, pourrait vider le dossier de sa substance, sans jamais vraiment trancher. Cela affaiblirait à la fois la justice et la perception publique de l’État de droit.
Un procès-test pour la justice congolaise
Au-delà de la personne de Mutamba, ce procès pose une question cruciale : la justice congolaise est-elle aujourd’hui capable de traiter des dossiers sensibles sans ingérence politique ? Car si les faits sont avérés, il est légitime que la loi s’applique pleinement. Mais si les irrégularités de procédure se multiplient, ou si l’affaire est instrumentalisée pour des fins politiques, alors ce procès pourrait devenir un précédent dangereux.
L’instruction, qui devrait commencer le 23 juillet, sera l’occasion de voir si les témoins seront appelés, si le prévenu sera entendu équitablement, et si les principes élémentaires du procès pénal seront respectés. Pour l’instant, rien n’est joué. Mais l’attention du public, des médias, et de la communauté internationale est désormais braquée sur la Cour de cassation, appelée à écrire l’un des chapitres les plus sensibles de la justice congolaise contemporaine.
