Sanctions américaines contre le Rwanda mais une France aphone : VERS UNE ORGANISATION AFRICAINE DE LA FRANCOPHONIE ?

Devant les atermoiements de la France qui refuse dévaliser la résolution du Parlement européen du 13 février 2025 sur l’escalade de la violence en RDC, adoptée à la majorité écrasante des députés européens par 443 voix pour, 4 contre et 48 abstentions, les congolais proposent au président Félix-Antoine Tshisekedi de prendre l’initiative de la création dune Organisation Africaine de la Francophonie si la France ne prend pas ses responsabilités historiques au sein de OIF.
Des accords suspects avec le Rwanda
Depuis la signature de l’accord de coopération entre Paris et Kigali du 6 avril 2024, par lequel la France s’engage à verser au gouvernement rwandais 400 millions d’euros pour l’organisation et l’instruction dune gendarmerie rwandaise, la région des Grands lacs africains est le théâtre dune intensification de l’agression de larmée rwandaise, accompagnée de son supplétif habituel le M23, dans les riches zones minières de lest de la RDC. Parmi les milices financées par Kigali dans cette énième agression visant le démembrement de la RDC figure lAFC de Corneille Nangaa, ancien Président de la commission électorale national indépendante (CENI).
Laccord de coopération entre Paris et Kigali excluant la participation dinstructeurs français à des opérations de guerre ou de rétablissement de lordre, renforce laccord dassistance militaire conclu entre la France et le Rwanda en 1975 au titre de la coopération. Parallèlement, l’Union européenne et le Rwanda ont conclu deux semaines plus tard, le 19 février 2024, un protocole daccord pour favoriser en territoire rwandais le développement de chaînes de valeur durables et résilientes pour les matières premières critiques.
Il est sidérant que lUnion européenne ait fait le choix de signer ce protocole avec le Rwanda, dont le potentiel minier avait déjà été jugé non rentable sous le mandat belge, les réserves étant trop faibles et difficilement exploitables. La Belgique, puissance coloniale du Congo et du Rwanda-Urundi confirmera ce point sans hésitation, et la RDC le rappellera lors des prochaines réunions internationales relatives à cette agression.
Des minerais désanglantés en RDC
Les ressources minières du Rwanda dont lexploitation a débuté en 1930 étaient si peu profitables que lUnion Minière du Haut Katanga opérant dans le sud du Congo belge préférait importer des mineurs rwandais plutôt que de loccuper dans de maigres filons en territoire rwandais. Le secteur minier résiduel de ce pays sest définitivement effondré en 1980 avec la faillite de la société minière du Rwanda SOMIRWA, faute de réserves profitables aux investisseurs étrangers. Les spécialistes des ressources minières africaines sétonnent que la commissaire européenne aux partenariats internationaux, Jutta Urpilainen nai pas suggéré plutôt une conclusion de ce protocole de développement de chaines de valeur avec la RDC.
Le potentiel minier de la RDC parait inépuisable et peut satisfaire durablement les besoins de L’union européenne dans des conditions d’exploitation désanglantées, évitant aux contribuables européens d’être tenus comptables de l’exploitation de minerais du sang en RDC, pratique désormais rejetée en bloc par leurs élus au Parlement européen. Les peuples européens attendent de la Commission de Bruxelles quelle suspende un accord qui encourage de fait la perpétration de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. Ce protocole conclu avec l’Union européenne contraint le Rwanda à poursuivre le pillage minier de la RDC et à tenter l’annexion des territoires qu’il convoite. Ce protocole a toutes les allures dune délégation de pouvoirs de L’union européenne aux milices de pillage rwandaises.
Des sanctions américaines justifiées
Face à cette situation préoccupante et affligeante, les Etats-Unis du républicain Donald Trump ont sanctionné le 20 février 2025 le général James Kabarebe, ministre de la Coopération régionale du Rwanda et ancienne figure de l’occupation rwandaise en RDC. Ce général est présenté par l’administration Trump comme jouant « un grand rôle dans les conflits qui endeuillent lest congolais depuis trois décennies », en précisant que Kabarebe « gère une grande partie du Rwanda et la génération de revenus du M23 à partir des ressources minérales de la RDC ». Kabarebe avait exercé le poste de chef dEtat-major de larmée rwandaise dagression et doccupation à Kinshasa à la chute du régime du Maréchal Mobutu, orchestrée par ladministration démocrate de Bill Clinton, président des Etats-Unis de 1993 à 2001.
Le Département du Trésor américain a révélé que cet « homme de confiance de Paul Kagame a coordonné lexportation de minéraux extraits des sites miniers en RDC pour une éventuelle exportation du Rwanda ». Il va sans dire que les exportations du Rwanda visent à satisfaire les exigences du protocole daccord minier conclu avec lUnion européenne, ce que dénoncent implicitement les Etats-Unis. Ladministration Trump a également sanctionné Lawrence Kanyuka, porte-parole de lAFC et du M23, dont les vocations de milices de pillage minier sont soulignées par le Département du Trésor. Les congolais saluent ces sanctions prises par Donald Trump, et faut-il rappeler que leur aversion pour les démocrates américains date de la politique africaine morbide de ladministration Clinton dans les Grands lacs.
Déjà le 28 janvier 2025, lAllemagne avait, dans le même esprit de défense de la souveraineté de la RDC, suspendu sa coopération avec le Rwanda, dont le tiers du budget dépend de laide internationale. Le ministère allemand du Développement et de la Coopération économique a indiqué que la reprise des discussions avec le Rwanda et le M23 se fera « lorsquils auront mis fin à l’escalade et se seront retirés » de la région.
Pour sa part, la Belgique, fer de lance du soutien international à la RDC, dont le rôle est unanimement salué par les congolais et par lAfrique entière, a pris une position forte par la voix de son ministre des Affaires étrangères Maxime Prévot « Suite à la violation de lintégrité territoriale de la RDC et de la Charte des Nations unies par le Rwanda »
Une France aphone
C’est dans ce contexte que le mutisme de la Francophonie, dirigée par la rwandaise Louise Mushikiwabo, devant l’agression meurtrière menée par Paul Kagame dans les zones d’intérêts miniers de la RDC en violation du droit international et de la Charte de la Francophonie inquiète les congolais du pays et de la diaspora. Mobilisés derrière le président Félix-Antoine Tshisekedi pour la sauvegarde de leur nation et lexistence perpétuelle de la RDC dans ses frontières de 1960, ils appellent la France à soutenir le vote du Parlement européen pour désanglanter le secteur minier en RDC. Les congolais affirment avec force, par la voix de leur ministre des Affaires étrangères Thérèse Kayikwamba Wagner, que le protocole conclu entre L’union européenne et le Rwanda encourage la perpétration en RDC de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, de viol de femmes et d’enfants ainsi que le déplacement forcé de population, atrocités visant le démembrement du territoire congolais.
Face aux bredouillages d’Emmanuel Macron sur les crimes commis par larmée rwandaise en territoire congolais, faisant la sourde oreille devant le vote du Parlement européen condamnant un protocole insensé avec un Rwanda dépourvu de ressources minières, les congolais disent au président français « prenez garde !». Emmanuel Macron demeure lucide lorsquil sagit de qualifier lagression russe contre lUkraine en rappelant «la menace que représente la Russie pour lEurope et pour la France» lors dun échange avec les français sur le réseau social Youtube le 20 février 2025, ajoutant que la France « refuse un cessez-le-feu qui soit une capitulation de lUkraine ». Mais il ne parvient pas à tenir le même raisonnement lorsquil sagit de la RDC, dont lagression par le Rwanda menace lAfrique tout entière, et au-delà lapprovisionnement mondial en ressources stratégiques.
Emmanuel Macron semble avoir perdu de vue laccord général de coopération militaire technique entre la République française et la République du Zaïre, signé à Kinshasa le 22 mai 1974, et confirmé par le Décret n°80-682 du 27 août 1980, qui engage la France a fournir une assistance technique à la RDC, en temps de paix comme en temps dagression. Les congolais entendent poursuivre leur coopération économique et culturelle avec la France, terre dasile et terre dadoption, pays des droits de lhomme. Des dizaines de milliers de leurs compatriotes y vivent en conformité avec des valeurs humanistes et démocratiques qui sont un modèle pour le monde.
Une Organisation Africaine de la Francophonie ?
Mais si la posture frileuse du président français dans les Grands lacs persiste, malgré les souffrances infligées aux congolais par les pillages incessants et répétés du Rwanda, bénéficiaire dune aide militaire financée à leur insu par les contribuables français, et si l’OIF ne se prononce pas pour une suspension du Rwanda au sein de la Francophonie, les congolais n’auront d’autre choix que de proposer à leurs frères africains la création dune Organisation Africaine de la Francophonie. Cette organisation aura pour objectif d’harmoniser les politiques éducatives et culturelles des pays membres, encourager la recherche scientifique, le partage de connaissances et de ressources, assurer le règlement pacifique des conflits et écrire l’histoire mémorielle de l’Afrique.
La RDC devra, malheureusement, se soustraire du champ dune politique africaine de la France devenue ambigüe et indécise. Au sein de la Francophonie elle semble avoir pris le parti de l’agresseur rwandais contre le géant aux cent millions d’habitants francophones et francophiles, disposant de toutes les ressources utiles à l’humanité. Si nécessaire la RDC adoptera, pour ce qui la concerne, la même attitude que l’administration Trump, qui vient d’isoler la France du règlement du conflit entre la Russie et l’Ukraine, bien quelle soit membre du conseil de sécurité des Nations unies.
Léon ENGULU III
est philosophe (UL Bruxelles)
et ingénieur agronome (Isea-Tshela)
il est spécialiste des relations internationales
et des réformes institutionnelles,
ancien Coordonnateur a.i du Mécanisme National de Suivi
de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba pour la paix et la sécurité
dans la région des Grands lacs,
ancien conseiller politique au ministère des Affaires étrangères,
chargé de la prospective et des questions globales.
