COMMENTAIRE SUR LES ARRETS R.CONST 1880/1816/RP0001/RP09 RENDUS PAR LA COUR CONSTITUTIONNELLE ET LA COUR DE CASSATION

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La justice dans un Etat, sert de thermomètre pour jauger la température d’un véritable Etat de droit ; car dit-on, « la justice élève une nation».
Ce commentaire porte sur les arrêts sous R.Const. 1880/1816/RP0001 rendus par la Cour Constitutionnelle suivant la requête en interprétation de l’article 168 de la Constitution introduite en date du 6 décembre 2022 par un groupe de sénateurs dont Madame et Messieurs ULUNGU EKUNDA LUKATA Berthold, MATATA PONYO MAPON Augustin, KAZADI NGOY Gabriel, KIBAYA MUNEMBWE Jean-Pierre, DASYO MOKFE Thalie, ZAGBALAFIO ANGALA Jean-Pierre, KAMITATU SONA Marie-Josée, MOLEKA LIAMBI Jean de Dieu, CHIKEZ DIEMU Ghislain, MABAYA GIZI AMINE Jean-Philibert, LELO NZAZI Rolly et MUZANGISA MUTALENU Laurent.
Dans cette requête, les honorables sénateurs sus identifiés avaient saisi la Cour Constitutionnelle pour obtenir le sens de ce qu’elle entend par l’irrévocabilité et le caractère exécutoire des arrêts de la Cour Constitutionnelle conformément à l’article 168 de la Constitution.
Je voudrais ici, évoquer quelques notions importantes qui seront analysées au cours de cette réflexion, à savoir :
L’autorité de la chose jugée ;
L’irrévocabilité et le caractère exécutoire des arrêts de la Cour Constitutionnelle ;
Le revirement jurisprudentiel ;
Le principe de l’autorité de la chose jugée ;
La qualité de la Cour de Cassation pour saisir la Cour Constitutionnelle en interprétation ;
Le dialogue des juges ;
La Cour Constitutionnelle comme juge de l’interprétation de la constitution

De l’autorité de la chose jugée dans l’arrêt sous RP 0001 rendu par la Cour Constitutionnelle dans l’affaire dite BUKANGA LONZO
L’autorité de la chose jugée d’une décision se rapporte à ce que, dès que cette décision est prononcée, ce qui y est jugé est et doit être considéré comme une vérité absolue et ce juge ne peut plus y revenir à nouveau. Ainsi, dès qu’une juridiction vide sa saisine par une décision sur la forme ou sur le fond d’un litige, ladite juridiction ne peut plus y revenir car, sa décision est définitive et ce qui y est dit doit être tenu pour vrai.
Dans un état de droit, la légitimité juridique de la Cour Constitutionnelle tient à la maîtrise de la rigidité de la Constitution, celle de l’autorité de la chose jugée et de sa capacité de résolution équitablement des contentieux constitutionnels.

Qu’il convient de préciser que, l’autorité de la chose jugée n’est pas à confondre avec la force de la chose jugée qui, elle, vise l’irrévocabilité d’une décision de justice, une décision dépourvue des voies de recours.
Dans le cas d’espèce, l’arrêt rendu par la Cour Constitutionnelle sous RP 0001, est revêtu de l’autorité de la chose jugée, dans la mesure où ce que le juge constitutionnel y a dit doit être considéré par tous comme vrai et qu’il ne plus y revenir pour statuer à nouveau. Autrement dit, la Cour Constitutionnelle a vidé sa saisine et ne peut plus revenir sur le même dossier pour prendre une autre position.

Malheureusement, cette même Cour constitutionnelle, sous R.Const. 1816, suivant la requête de la Cour de Cassation, est revenue sur sa compétence qu’il avait déjà déclinée, ce qui est un péché juridiquement impardonnable.

L’irrévocabilité d’une décision judiciaire

Les arrêts de la Cour Constitutionnelle sont irrévocables au sens de l’article 168 de la Constitution qui proclame ce qui suit : « Les arrêts de la Cour Constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours et sont immédiatement exécutoires. Ils sont obligatoires et s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, civiles et militaires ainsi qu’aux particuliers ».
Dans le cas de l’arrêt sous RP. 0001 rendu par la Cour Constitutionnelle, il y a lieu de souligner que cette Cour n’a aucunement la possibilité de revenir sur cette affaire dite BUKANGA LONZO, en ce que, même rendu sur la forme, cet arrêt bénéficie des termes de l’article 168 de la Constitution (irrévocabilité) et de l’autorité de la chose jugée. Il est donc impensable pour la Cour Constitutionnelle, de rouvrir les débats pour opérer dans le sens de remettre en cause son propre arrêt sous RP. 0001.

Le revirement jurisprudentiel

De prime abord, il sied de définir « la jurisprudence », afin de mieux cerner la notion de revirement de jurisprudence.
En effet, la jurisprudence désigne l’ensemble des décisions rendues par les juridictions nationales (sens large) ou la solution habituellement donnée par les tribunaux à une question de droit (sens étroit). C’est dans ce dernier sens qu’on dit qu’une décision « fait jurisprudence ».
La jurisprudence est considérée en RDC comme une source du droit, classée comme telle, juste après la loi, alors que, sous d’autres cieux, elle n’est pas une source du droit, car considérée comme une source « contestée » ou « officieuse » du droit, le juge n’étant que « la bouche qui prononce les paroles de la loi ».
En France par exemple, plusieurs textes de valeur constitutionnelle et législative interdisent aux juges de « créer » des règles de droit :
Les articles 34 et 37 de la Constitution française n’attribuent de compétence qu’au pouvoir législatif et au pouvoir règlementaire pour légiférer.
L’article 16 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen pose le principe de la séparation des pouvoirs qui interdit au juge, de s’immiscer dans la fonction législative en élaborant des règles générales.
Dès lors, le revirement de jurisprudence peut se définir comme étant « l’abandon par les Cours et Tribunaux eux-mêmes, d’une solution qu’ils avaient jusqu’à lors admise, l’adoption d’une solution contraire à celle qu’ils consacraient ou le renversement de tendance dans la manière de juger ».
Il s’ensuit que cet abandon d’une solution jusque-là admise, ne peut s’opérer que dans d’autres cas présentant certaines similarités, par exclusion à toute refonte d’une décision antérieure irrévocable.
Dès lors, tout revirement jurisprudentiel ayant pour but de revenir sur une affaire déjà jugée, se buterait indubitablement au principe de l’autorité de la chose jugée.
Le principe de l’autorité de la chose jugée

Ce principe général de droit implique qu’une partie qui serait convoquée à comparaître devant un juge (pénal ou civil) au sujet d’une affaire ayant déjà fait l’objet d’un précédent jugement, pourrait se limiter à faire constater l’existence de cette décision, sans avoir d’autre justification à fournir.
Mieux, ce principe interdit à un juge de revenir (juger à nouveau) sur sa propre décision qu’il a rendue antérieurement.
L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la demande soit entre les mêmes parties, formées par elles et contre elles en la même qualité.
Il est juridiquement admis que, le principe de l’autorité de la chose jugée a un caractère d’ordre public en cas de nouvelles poursuites, la fin de non-recevoir tirée de la chose jugée doit être soulevée d’office par le juge ou le parquet.
C’est ici l’occasion de dégager la grande différence avec le Droit Anglais (Common Law) où les arrêts des juridictions du droit constituent des règles prétoriennes obligatoires pour toutes les juridictions inférieures, indiqués sous le vocable « précédents » ou « stare decisis ».
Qu’en est-il alors de l’arrêt de la Cour Constitutionnelle sous R.Const. 1816 dans l’affaire MATATA PONYO?
Il faut reconnaitre que c’est avec raison que cet arrêt a créé beaucoup de polémique parce qu’en réalité, suivant les règles d’impartialité et d’objectivité, un juge qui a déjà opiné sur une question de droit ayant opposé les parties, est mal fondé de siéger encore pour connaitre de la même demande opposant les mêmes parties.

Griefs contre l’arrêt sous R.Const. 1816
Cet arrêt a été rendu en violation de toutes les règles qui puissent exister en droit positif congolais.
En effet, en l’absence des juges KALUBA et FUNGA, tous les neuf Juges qui composent cette Cour et qui ont siégé, exceptés trois d’entre eux, avaient précédemment siégé dans la cause sous RP. 0001 opposant le Ministère Public à Monsieur MATATA et consorts.
La logique légale voudrait que tous les juges qui avaient opiné sur l’incompétence de la Cour Constitutionnelle à juger un ancien Premier Ministre, puissent se déporter pour raison d’impartialité.
Malheureusement, la haute Cour n’a pas tenu compte de cet élément. Abordant sa saisine, faisant suite à la requête de la Cour de Cassation tendant à obtenir d’elle, le sens de ce qu’elle entendait par : « Dans l’exercice de ses fonctions et à l’occasion de l’exercice de ses fonctions », la Cour Constitutionnelle, dans son arrêt sous R.Const. 1816, pour éviter de se contredire avec son arrêt sous RP. 1767, est restée constante pour déclarer cette requête irrecevable pour défaut de qualité et ceci, conformément à l’article 161 de la Constitution.
N’ayant pas d’autres alternatives, la Cour Constitutionnelle a évoqué pour la première fois depuis son existence, la notion de « Dialogue des juges », une notion très peu connue en droit positif congolais, mais à laquelle la Cour Constitutionnelle a recouru en vue de réinterpréter les dispositions de l’article 164 de la constitution.
Que signifie « Dialogue des juges » ?

Il y a lieu de noter qu’il s’agit d’une théorie selon laquelle différentes juridictions, de façon le plus souvent informelle, dialoguent pour élaborer des jurisprudences tenant compte des erreurs des autres.
Il y a lieu de révéler pour clore notre propos, que la Cour Constitutionnelle devrait se limiter à déclarer la requête de la Cour de Cassation sollicitant l’interprétation de l’article 164 de la Constitution, irrecevable pour défaut de qualité conformément à l’article 161 de la Constitution et de sa propre jurisprudence, s’abstenant de poser quelque autre acte, car l’irrecevabilité de cette requête vidait déjà, sa saisine.
L’ayant reçue indirectement et malicieusement en évoquant la notion de « dialogue des juges », la Cour Constitutionnelle a fait du raccordement frauduleux et il s’agit là, d’une insécurité judiciaire installée désormais au sommet du Pouvoir Judiciaire.
Le revirement de jurisprudence ne rétroagit pas, il est concevable pour l’avenir car même la loi pénale elle-même, non seulement qu’elle ne rétroagit pas, mais si elle doit le faire, elle doit être favorable au prévenu.
L’irrévocabilité d’un arrêt ne peut pas être détruite par une interprétation qui, dans son sens compréhensif, ne vise pas à modifier le dispositif d’un arrêt, mais à donner le sens le plus clair de celui-ci.
La Cour Constitutionnelle comme juge de l’interprétation de la Constitution

Aux termes de l’alinéa 4 in fine de l’article 93 de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle, les arrêts de la Cour Constitutionnelle « ne sont susceptibles d’aucun recours, sauf interprétation ou rectification d’erreur matérielle ».
Qu’il ressort de la compréhension de cette disposition légale que seules deux conditions sont érigées en exceptions au non recours contre les arrêts de la Cour Constitutionnelle, à savoir : l’interprétation et la rectification d’erreur matérielle.
Qu’il y a lieu de préciser que les deux conditions sont alternatives et non cumulatives comme il est clairement libellé dans l’économie dudit texte.
Cependant, il est à constater que sous R.Const.1816, la Cour, bien que saisie en interprétation de l’article 164 de la Constitution de la République Démocratique du Congo, a tout de même violé l’esprit de la Constitution en se comportant en correctrice comme elle le dit elle-même dans son arrêt alors que sa saisine ne la prévoyait pas.
La Cour a cumulé les deux conditions en se fondant sur un argumentaire qui ne repose sur aucun soubassement légal. Bref, il s’agit d’une fraude, une rectification sous couvert d’une interprétation.
Enfin, il est à espérer que la Cour Constitutionnelle qui s’est déclarée incompétente dans son arrêt sous RP. 0001 et qui a fait son revirement dans son arrêt R.Const.1816 en se déclarant à nouveau compétente, le sera pour tous les autres cas à venir et non pour le cas sous examen, puisqu’elle prive au prévenu précité, le droit d’accéder à une justice équitable dans la mesure où son dossier ne va pas suivre le cours normal de la procédure devant la Cour Constitutionnelle qui soumet ses poursuites par un vote préalable d’une résolution du Congrès.
Les arrêts R.Const.1816 et 1880 ont le mérite de démontrer les violations flagrantes de la Constitution et le Règlement de la Cour Constitutionnelle. Pour une fois dans l’histoire de ce pays, la Cour Constitutionnelle vient d’introduire une notion dont le contenu n’est soutenu par aucune source du droit :
En effet, la Cour affirme ce qui suit sous R.CONST 1880 : « en l’espèce, la Cour est fondée de revirer sa jurisprudence qui, sous le RP.0001, était de nature à provoquer des violations inacceptables des droits de la personne humaine, notamment la privation à une personne de son droit constitutionnel à être jugée par un juge compétent conformément à l’article 19 Al.1 et 2 de la constitution comme il en est du cas de Monsieur MATATA PONYO MAPON Augustin, mais aussi consolider les principes constitutionnels sur l’égalité de tous devant la loi et l’égale protection de tous par la loi.
Il découle de ce qui précède qu’en dépit du fait que ces arrêts ne sont susceptibles d’aucun recours, sauf interprétation ou rectification d’erreur matérielle tel que prescrit à l’article 93 Al.4 de sa loi organique, la Cour constitutionnelle peut, dans les circonstances et objectifs sus décrits, faire des revirements de ses propres décisions sans heurter ni compromettre le caractère contraignant et exécutoire de ces dernières ».
Le sens donné par la Cour Constitutionnelle sous R.Const 1880 à la notion de « Revirement de jurisprudence », est tout simplement aberrant dans la mesure où le revirement de jurisprudence ne peut pas se concevoir dans un même dossier, opposant les mêmes parties. Le revirement de jurisprudence est concevable pour un cas ultérieur, un dossier similaire, mais dont le litige est similaire. Le revirement de jurisprudence est fait pour l’avenir, il ne rétroagit pas.
L’interprétation faite du revirement de jurisprudence sous R.Const 1880 vide manifestement le sens des dispositions de l’article 168 de la Constitution qui évoque le caractère irrévocable des arrêts de la Cour Constitutionnelle.
Il convient de relever que, dans un commentaire sur la justice constitutionnelle grecque, Antonis PANAGOPOULOS affirme que : « si la cour constitutionnelle qui apprécie la conformité des lois et des actes réglementaires à la constitution et qui est censée protéger les droits fondamentaux de citoyens contre les abus de pouvoir ou de tiers puissants, ne joue plus son rôle de modérateur et de régulateur, alors le peuple (justiciable) peut se détourner d’elle et elle devient, dans le pire des cas, anti-démocratique ».
Il est évident que, la pensée de l’auteur visé donne matière à réflexion face à une justice constitutionnelle congolaise en situation de flottement constant.
La question qui mérite d’être posée à la Cour Constitutionnelle, peut-on aujourd’hui, remettre en cause l’arrêt de la Cour Constitutionnelle proclamant son Excellence Félix-Antoine TSHISEKEDI TSHILOMBO Président élu de la République Démocratique du Congo, au cas où il y aurait des preuves matérielles de l’élection de son adversaire en 2018 ? R/ tout juriste même moyen répondra par la négative.
Irrévocable veut dire : non-retour, même en matière d’interprétation, le juge n’est pas permis de modifier le dispositif de la décision interprétée.
Le dossier BUKANGA LONZO, aurait eu le mérite d’étaler la dépendance de la justice Congolaise car, le juge constitutionnel congolais devra, en toute sagesse, promouvoir l’état de droit pour redorer l’image du système judiciaire marqué par des décennies de dictature, sinon il restera comme dit le doyen F. Wodié un agent de « ces barbares que sont les hommes politiques qui, pour avoir le fruit, n’hésitent pas à abattre l’arbre producteur ».
Pour toutes ces raisons pertinentes, il y a lieu de considérer que le Droit est appliqué dans l’espèce comme un instrument du pouvoir politique.

CNN

Chercheur en Droit et en Criminologie
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