Rouslan Edelgeriev: “De la Cop 27, nous espérons une ambiance sans des querelles géopolitiques”

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Les lampions se sont éteints sur les travaux de la PréCOP 27 le mercredi dernier. L’occasion faisant le larron, notre Rédaction s’est entrenu avec monsieur Rouslan Edelgeriev, Conseiller du président de la Fédération de Russie et Représentant spécial du président Vladimir Poutine en matière de changement climatique. Il est resté dans la même logique de la position prise bien avant lorsqu’il confiait que la Russie est très sensible à la nécessité de se concentrer sur l’adaptation au changement climatique, le financement et la question des pertes et dommages causés par le changement climatique. Il avait également soutenu que “si nous discutons des conflits internationaux au lieu de suivre l’ordre du jour d’une conference particulière, nous n’atteindrons pas le résultat que la conférence était censée obtenir”. Lire dans les lignes qui suivent, l’interview exclusive qu’il a voulu nous accorder avant de rentrer dans son pays.

Le Journal : Monsieur le Représentant Spécial du Président de la Fédération de Russie pour les questions climatiques, que pouvons-nous retenir de la politique climatique globale adoptée par votre pays, la Russie ?
Rouslan Edelgeriev: Notre politique climatique couvre tous les domaines traditionnels : atténuation, adaptation au changement climatique et soutien financier et technologique aux pays en développement.
La politique d’atténuation du changement climatique est définie dans la stratégie de développement socio-économique à faibles émissions de gaz à effet de serre de la Russie pour 2050. La stratégie prévoit d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2060 et contient également des objectifs intermédiaires de réduction de ces émissions pour 2030 et 2050. Je tiens à souligner que ces objectifs sont plus ambitieux que ceux fixés dans notre actuelle contribution déterminée au niveau national (CDN), de sorte que la stratégie devrait être le principal point de référence pour l’évaluation de nos mesures.
Les instruments politiques sont principalement, certaines incitations fiscales et des projets climatiques volontaires. En outre, au niveau régional, l’Oblast de Sakhaline a déjà lancé un système d’échange de droits d’émission visant à rendre la région neutre en carbone d’ici la fin 2025. Si l’expérience s’avère concluante, elle pourrait être étendue à d’autres régions, voire à l’ensemble du pays.
L’adaptation au changement climatique est mise en œuvre par le biais de plans sectoriels et régionaux. Chaque plan comprend des mesures visant à atténuer les dommages causés par le changement climatique ou, au contraire, à en tirer profit. Il y a beaucoup d’aspects positifs à cela. Je répondrai plus en détails, si nécessaire
Enfin, la Russie aide volontairement les pays en développement, notamment les pays africains, à lutter contre le changement climatique. Nous acheminons l’argent vers divers projets par le biais de fonds multilatéraux, tels que le Fonds vert pour le climat. Nous fournissons également de la nourriture, des médicaments et d’autres biens nécessaires aux pays touchés par des catastrophes naturelles, et nous participons aux efforts de sauvetage et de secours en cas de catastrophe.

Le Journal : Pour une certaine opinion, la guerre en Ukraine est de nature à mettre en difficulté les politiques climatiques impulsées par le Président Poutine, partagez-vous cet avis ?
R.E : Je ne le partage pas. La politique climatique russe, dans sa forme actuelle, a pris forme en 2020 et 2021. Depuis lors, notre vision à long terme et nos objectifs n’ont pas changé. Seuls les détails ont changé. Mais c’est tout à fait naturel. Et cela arrive à tout le monde.

Le Journal : Votre pays, comme la plupart d’autres pays industrialiés, semble mettre au frigo la promesse faite par le truchement de l’Accord de Paris pour le décaissement annuel de 100 milliards de dollars américains en faveur des pays moins pollueurs. Quelle est la position de la Russie à cette promesse non tenue à ce jour ?
R.E : Cet engagement a été pris en 2009 par les pays qui étaient déjà tenus, en vertu de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, de fournir un soutien financier aux pays en développement. La Russie n’avait pas un tel engagement à l’époque, et elle ne l’a pas non plus aujourd’hui. Lorsque nous avons adhéré à l’Accord de Paris, nous avons fait une déclaration en ce sens, et la Bulgarie et la Pologne, qui ont le même statut que la Russie dans le cadre de la Convention, ont fait une déclaration similaire. Sur cette base, nous fournissons volontairement une aide financière et technologique. Et nous continuerons à le faire.
Quant au non-respect de cet engagement par les pays développés auxquels il s’applique, il nous préoccupe bien sûr beaucoup. Le sous-financement mine la capacité des pays en développement à contribuer à la lutte contre le changement climatique. En particulier, elle ralentit la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans ces pays. Il en résultera un changement climatique plus important que celui qui se serait produit si l’engagement avait été tenu, et donc des coûts plus élevés pour tous les pays, y compris les «pays coupables» eux-mêmes. En outre, le fait de ne pas tenir ces promesses nuit généralement à la crédibilité des négociations. Lorsque ces pays demanderont de nouvelles réductions drastiques des émissions, je suis sûr qu’on leur rappellera ce péché.En bref, ils se tirent une balle dans le pied.
Nous rappelons que l’Accord de Paris interdit aux pays d’affaiblir leurs contributions déterminées au niveau national. C’est l’une des dispositions clés de ce document et nous n’allons pas la violer.

Le Journal : Quand le Kremlin déclare n’accepter aucune entrave à l’expansion et à la modernisation du complexe pétrolier et énergétique qui représente la locomotive de l’économie Russe, cela ne préfigure pas l’échec du développement des énérgies renouvelables ?
R.E : L’un n’interfère pas avec l’autre. Nous ne sommes pas les seuls à disposer d’un secteur des carburants et de l’énergie solide, mais à développer les énergies renouvelables. Notre stratégie 2050 indique explicitement notre intention d’augmenter considérablement la production d’électricité à partir de sources renouvelables. Nous n’abandonnons pas cette intention. De plus amples détails en termes de chiffres et de calendrier seront divulgués dans le plan de réduction de l’intensité carbonique, qui est en cours de préparation sur la base de la stratégie susmentionnée.

Le Journal : Quelles sont les attentes de la Russie vis-à-vis de la Cop 27 qui sera co-organisée par la RDC au regard de la situation qui prévaut à l’heure actuelle ?
R.E : En résumé, nous nous attendons à ce que Sharm el-Sheikh fasse des progrès substantiels sur le programme de travail relatif à l’objectif d’adaptation mondiale, ainsi que sur le lancement complet du programme de travail relatif à l’ambition d’atténuation pour 2030. Nous espérons que ces deux programmes viendront compléter, sans faire double emploi, le travail déjà accompli dans le cadre de la Convention et au-delà.
Bien entendu, nous espérons également qu’une atmosphère de coopération et de créativité régnera lors de la conférence, sans s’enliser dans des querelles géopolitiques.

Propos récueillis par Patrice Booto