Que retenir de la décision rendue par la Cour de Cassation sous RP 09/CR en date du 21 juillet 2022 et pour quel avenir ?

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En date du 14 Juillet 2022, la Cour de Cassation a reçu les plaidoiries des prévenus dont l’ancien Premier Ministre MATATA PONYO, l’ancien Ministre Délégué aux finances, Monsieur KITEBI et l’ancien Gestionnaire du Parc Agro industriel de Bukanga-Lonzo, le Sud Africain Grobler CHRISTO;

Lors de cette plaidoirie, tous les prévenus de manière unanime, ont soulevé l’exception d’incompétence essentiellement porté sur la personne du Prévenu MATATA PONYO, tirée d’une part, des articles 164 et 108, respectivement de la Constitution du 18 Février 2006 telle que modifiée à ce jour et de la loi qui organise la Cour constitutionnelle et d’autre part, de la jurisprudence de la Cour de Cassation sous RPA 67. 28/CR en date du 02 mars 1987, qui a jugé que « bénéficie du privilège de juridiction et est justiciable de la Cour d’Appel, le prévenu ancien magistrat auteur des infractions commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de cette fonction ».

En date du 22 Juillet 2022, la Cour de cassation a rendu son arrêt avant-dire droit décrétant la surséance à statuer et saisissant la Cour Constitutionnelle en interprétation de l’article 164 de la Constitution.

Curieusement, la Cour de Cassation a par cet arrêt, transformé une exception d’incompétence en une exception d’inconstitutionnalité comme Seigneur Jésus Christ dans les Noces de Cana qui a fait le même exploit entre l’eau et le vin.

Le Juge n’est pas un magicien, il n’est pas fondé à modifier les moyens des parties dans le cours du délibéré. Il n’existe pas d’exception d’inconstitutionnalité implicite ou par déduction. Soit elle est soulevée soit elle n’est pas soulevée. Elle ne peut pas être « apparemment » soulevée.

Il n’appartient pas au Juge de faire dire aux parties ce qu’il veut entendre d’elles ou ce qu’il imagine que les parties auraient voulu dire. Il se contente des moyens des parties tels qu’ils sont présentés sans ne rien y ajouter ni de bonne ou de mauvaise foi. Le Juge ne prophétise pas non plus sur les pensées des parties.

La Cour de Cassation a créé une conception nouvelle ! En effet, dans la motivation de son arrêt, la Cour assimile l’exception d’incompétence soulevée par les parties à une fin de non-recevoir. Or en droit, chacune des deux notions a un sens particulier et distinct de l’autre. Si l’exception d’incompétence tend à

    

obtenir d’une juridiction saisie de décliner tout simplement sa compétence, une fin de non-recevoir elle, poursuit plutôt l’irrecevabilité d’une cause.

Admettons même par l’absurde que les parties aient véritablement soulevé non pas une exception d’incompétence, mais plutôt une exception d’inconstitutionnalité (encore que dans ce cas, la Cour de Cassation devrait indiquer l’acte législatif ou réglementaire qu’elle suppose être attaqué par les parties et qui l’aurait justifié à ordonner la surséance à statuer), il y a lieu de préciser que cette exception a pour finalité de conduire la juridiction devant laquelle elle est soulevée, à saisir toutes affaires cessantes, la Cour Constitutionnelle en contrôle de conformité de l’acte législatif ou réglementaire attaqué à la Constitution (article 162 de la Constitution). Elle ne tend jamais à conduire la juridiction devant laquelle elle est soulevée à saisir la Cour Constitutionnelle en interprétation d’une disposition constitutionnelle comme ce que venait de faire la Cour de Cassation.

Le recours en interprétation est régi par une disposition autre que l’article 162 de la Constitution. C’est par contre l’article 161. Il n’est jamais initié de manière incidente par voie d’exception tel que l’a fait la Cour de Cassation (par erreur). C’est un recours formé par voie d’action, en dehors du contexte d’un procès et il ne peut être formé que par les autorités politiques.

Les articles 161 alinéa 1 de la Constitution, 54 alinéa 1 de la loi organique du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour de Constitutionnelle et 51 alinéa 1 du règlement intérieur de la Cour Constitutionnelle s’accordent à dire que la Cour connait des recours en interprétation de la Constitution à la requête du Président de la République, du Gouvernement, du Président du Sénat, du Président de l’Assemblée nationale, d’un dixième des membres de chacune des Chambres parlementaires, des Gouverneurs des provinces et des Présidents des Assemblées provinciales.

Nulle part la Cour de Cassation ou ses membres ne sont alignés comme organes habilités à saisir la Cour Constitutionnelle en interprétation de la Constitution.

Aucune disposition de la Constitution ou de la loi organique du 15 octobre 2013 précitée ou encore du règlement intérieur de la Cour Constitutionnelle, ne prévoit qu’un recours en interprétation de la Constitution devrait entraîner la surséance. Seule l’exception d’inconstitutionnalité soulevée contre un acte législatif ou règlementaire appliqué au procès justifie une telle surséance.

Conséquence de droit : la Cour Constitutionnelle saisie du recours en interprétation de la Constitution par la Cour de Cassation a la tâche plus que jamais aisée de le déclarer tout simplement irrecevable.

Cependant, soutenant l’exception d’incompétence relativement aux dispositions des articles 164 de la Constitution et 108 de la loi organique portant organisation et fonctionnement de la cour Constitutionnelle, les prévenus démontrent que le législateur avait et avec raison, tracé une distinction entre les actes posés « dans l’exercice » ou « à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions » et ceux commis « en dehors de l’exercice de leurs fonctions ».

Pour les premiers actes, le législateur attribue la compétence à la Cour Constitutionnelle (article 164 de la Constitution) et pour ceux perpétrés en dehors de l’exercice de leurs fonctions, les anciens Président de la République et Premier Ministre restent justiciables des juridictions de droit commun.

Dans le cas d’espèce, la citation à prévenu indique que les actes de détournement ont été commis dans l’exercice de ses fonctions (Premier Ministre) ; d’où la compétence de la Cour Constitutionnelle.

1. Arrêt de la Cour de Cassation et ses contre vérités

Primo : De l’exception d’incompétence, la Cour de Cassation a déduit une exception d’inconstitutionnalité. Pourtant, le Juge n’est pas permis de modifier les moyens soulevés par les parties dans le cours du délibéré. Il n’existe pas d’exception d’inconstitutionnalité implicite ou par déduction comme rappelé supra. Elle est soit soulevée d’office par la juridiction du fond du litige, soit par l’une des parties au procès.

– Est-ce que dans le cas d’espèce, la Cour de cassation était habilitée à soulever un moyen comme celui de l’inconstitutionnalité ?

R/ affirmatif

– Dans quelle condition, une juridiction est-elle habilitée à soulever un moyen comme celui de l’inconstitutionnalité ? R/ Ce moyen étant d’ordre public, même le Ministère Public est habilité à le faire, mais il doit s’agir : – d’une inconstitutionnalité visant un acte législatif ou réglementaire.

Secundo : Qu’est-ce que la Cour de Cassation reproche à la présente procédure pour soulever l’inconstitutionnalité en faisant application de l’article 162 de la

Constitution ? R/ Malheureusement, la Cour de Cassation n’a pas relevé l’acte législatif ou réglementaire qui serait inconstitutionnel selon elle.

Tertio : Qu’est-ce que la Cour de Cassation attend de la Cour constitutionnelle ? R/ Par son Arrêt Avant dire droit (ADD), la Cour de Cassation attend obtenir de la Cour constitutionnelle, de lui donner la portée exacte de ces deux expressions : « dans l’exercice de ses fonctions et à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ».

Il y a lieu de relever à ce stade, que cette demande de la Cour de cassation est un mort né dans la mesure où elle viole de manière systématique, les dispositions de l’article 161 de la Constitution qui dispose : « La Cour constitutionnelle connaît des recours en interprétation de la Constitution sur saisine du Président de la République, du Gouvernement, du Président du Sénat, du Président de l’Assemblée nationale, d’un dixième des membres de chacune des Chambres parlementaires, des Gouverneurs de province et des présidents des Assemblées provinciales. Elle juge du contentieux des élections présidentielles et législatives ainsi que du référendum. Elle connaît des conflits de compétences entre le Pouvoir exécutif et le Pouvoir législatif ainsi qu’entre l’Etat et les provinces. Elle connaît des recours contre les arrêts rendus par la Cour de cassation et le Conseil d’Etat, uniquement en tant qu’ils se prononcent sur l’attribution du litige aux juridictions de l’ordre judiciaire ou administratif. Ce recours n’est recevable que si un déclinatoire de juridiction a été soulevé par ou devant la Cour de cassation ou le Conseil d’Etat. Les modalités et les effets des recours visés aux alinéas précédents sont déterminés par la loi.».

A la lecture de cette disposition, il y a lieu de constater que la Cour de Cassation n’est pas habilitée à solliciter l’interprétation d’une disposition légale ou constitutionnelle.

Deux scénarios sont attendus de la Cour Constitutionnelle :

– Juridique ou – Politique.

A. Sur le plan juridique.

1. Si la Cour Constitutionnelle veut rester objective, elle devra déclarer cette demande irrecevable pour défaut de qualité dans le chef de la Cour de

Cassation, en ce sens que l’article 161 de la Constitution ne reprend pas la Cour de Cassation parmi les requérants en interprétation ;

2. S’agissant de la fameuse inconstitutionnalité, la Cour constitutionnelle a jugé sous R. Cons 1171 que le requérant est tenu d’indiquer l’acte législatif ou réglementaire attaqué en inconstitutionnalité, la demande de la Cour de Cassation étant muette sur ce point, la Cour Constitutionnelle devra déclarer cette requête recevable, mais totalement infondée.

B. Sur le plan politique

Politiquement parlant, la Cour Constitutionnelle avec son décor actuel, pourrait tenter de passer outre cette forme qui est pourtant biaisée.

En effet, la Cour Constitutionnelle est face à ses responsabilités, car avec les récents arrêts annulant ceux du Conseil d’état, ce scandale risque de se reproduire dans le cas du dossier MATATA dont les indicateurs sont au rouge sur le plan légal et malgré les évidences, tenterait par tous les moyens pour fabriquer un monstre juridique.

Si la Constitution du 18 Février 2006 telle que modifiée et complétée à ce jour, était une femme, le Docteur Dénys MUKWEGE aurait eu une patiente qui reviendrait chaque semaine avec des blessures de viol !

   Pourtant, l’avenir judiciaire du Pays en dépend !

NNC Chercheur en Droit.

CP