Léon ENGULU III plaide pour Constant Mutamba

Le spectacle de la justice est parfois un miroir de la société. Et le procès de Constant Mutamba, jeune étoile montante de la politique congolaise, en est une illustration poignante. Plus qu’une affaire de détournement présumé, cette instruction publique révèle les fractures d’un État en quête d’identité, où les vieilles méthodes de règlement de compte semblent vouloir étouffer l’élan de renouveau.
L’accusation, qui porte sur un détournement de fonds, se heurte à la réalité troublante du silence des principaux acteurs. L’Avocat Général Adler Kisula, Secrétaire Exécutif de la Cellule Nationale des Renseignements Financiers (CENAREF), dont la présence serait déterminante pour l’équité des débats, ne peut se présenter au procès à la demande de la défense, invoquant une impossibilité liée à sa fonction. De même, la Première ministre Judith Suminwa et le ministre des Finances Doudou Fwamba, cités entre autres comme témoins, brillent par leur absence, ou du moins par leur manque d’empressement. Cette attitude interroge profondément car si leur témoignage ne contient aucune charge, pourquoi cette réticence à venir l’affirmer devant la cour ? Et s’il est accablant, pourquoi éviter de croiser le fer, publiquement, avec la défense de leur collègue ? Leur absence pèse comme un fardeau sur l’image de la République, suggérant une instruction dénuée de fondement réel car en fait, c’est à eux qu’il revient de confirmer les discussions tenues en conseil des ministres autour du projet controversé de construction d’une nouvelle prison.
Une matérialité introuvable de l’infraction
Sur le plan juridique, la fragilité du dossier interpelle. Pour qu’il y ait détournement, il faut une matérialisation de l’infraction, un acte concret de soustraction de fonds ou de biens, voire plus, une disposition détournée, une fin personnelle. Or, l’instruction d’audience de la Cour de cassation, ne révèle rien de fondamentalement délictueux dans cette phase du procès. L’expert en passation des marchés a déclaré avec insistance ne relever aucune faute dans la conduite du dossier par Constant Muatmba, l’écoulement du délai de 10 jours valant approbation des services de la Première ministre. Le jeune âge et le manque d’expérience de l’ancien ministre ont certes pu engendrer des maladresses de communication par la suite, mais cela ne constitue en aucun cas une preuve de culpabilité.
L’absence d’éléments de preuve solides, couplée au manque de collaboration des témoins principaux, vide l’accusation de sa substance et affaibli le ministère public. La justice ne peut pas se contenter d’une suspicion politique. Elle doit s’appuyer sur des faits irréfutables et un processus contradictoire où toutes les parties sont entendues. La confrontation préalable avec les membres du gouvernement aurait pu clarifier bien des zones d’ombre avant même l’ouverture de ce procès public. Cette étape fondamentale a malheureusement été ignorée durant la procédure parlementaire de levée d’immunité de Constant Mutamba, procédure qui semble par ailleurs non conforme, car s’étant déroulée à main levée et non au vote secret, sous la présidence de Vital Kamerhe au perchoir de l’Assemblée.
Un procès pour l’exemple, mais lequel ?
La République ne peut pas se permettre un système de justice à deux vitesses. Tandis que des scandales impliquant des criminels en col blanc avérés et bien connus restent impunis, un jeune ministre qui a tenté de donner un nouveau visage à la justice se retrouve sur le banc des accusés. Constant Mutamba a incarné, par sa volonté de réformes, lors des États-généraux de la justice de 2024, l’espoir d’une justice équitable et indépendante.
La Cour de cassation a aujourd’hui l’opportunité de faire un choix philosophique et historique, celui de poursuivre un procès dont l’instruction d’audience peine à établir la preuve du délit, menaçant ainsi d’être perçue comme un instrument de pouvoir, soit d’agir avec sagesse et équité. En l’absence de preuves concrètes et irréfutable de bénéfice personnel pour Constant Mutamba, il en faut d’irréfutables pour condamner un Garde des Sceaux, la Cour a intérêt, pour le bien de la République et la crédibilité de ses institutions, à déclarer l’insuffisance de charges et à clore ce procès. Ce serait non pas une capitulation, mais un acte de courage, un premier pas vers une justice véritablement indépendante et débarrassée des démons du passé.
Léon ENGULU III
Philosophe
Communicateur aux Etats-généraux
de la Justice (Novembre 2024,
Atelier 1, Accès au droit, justice de qualité)
