L’ambassadeur Tosi Mpanu Mpanu est formel : “La responsabilité de sauver la planète ne peut pas incomber à la seule RDC ”

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Depuis que le gouvernement RD-congolais a mis au centre de ses préoccupations, l’exploitation du pétrole au niveau Parc de Kundelungu, il se fait remarquer un réel lever de boucliers dans le chef des cercles qui s’opposent à ce projet pourtant vital pour l’économie du pays.

Pourtant, soutiennent des experts, le contexte international actuel nous montre que des pays développés renoncent à leurs engagements climatiques, en prétextant la crise ukrainienne.

Dans ce contexte, la RDC étant un pays pauvre qui n’a pas les moyens de faire montre tout seul de leadership climatique, perd depuis plusieurs décennies, le combat contre la déforestation, la conservation et le maintien de la biodiversité.

Quoi de plus normal que ces analystes soutiennent que la RDC a le droit souverain d’utiliser certains leviers tels que les hydrocarbures pour atteindre des objectifs de réduction de pauvreté, de croissance socio-économique inclusive et de transition écologique à l’instar de la Norvège avec son pétrole (pourcentage du plus grand parc de véhicules électriques au monde).

Ceux qui sont de cet avis s’appuient sur le fait que les techniques d’exploration, de forage et d’exploitation du pétrole ont évolué sensiblement et peuvent être menées avec un impact amoindri sur l’environnement ambiant (zéro torchage, forage directionnel, etc.).

Ils sont encouragés, dans leur lecture de faits, par le fait que la Banque mondiale qui ne veut plus investir dans le pétrole et le charbon, a établi des procédures claires d’évaluation stratégique sociale et environnementale visant à identifier les impacts potentiels, les risques et la manière de les réduire.

Ce qui met le gouvernement devant le devoir de déterminer là où les risques sont excessifs pour éviter l’exploitation et exiger de ses partenaires pétroliers, un engagement de neutralité carbone, tout ce qu’ils émettront comme gaz à effet de serre.

Ce, en le compensant en finançant le reboisement et la lutte contre la déforestation.

Comme on peut bien le voir, la RDC compte bien respecter son engagement de l’accord de Paris pronant 21% de réduction d’émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030.

Pour ceux qui se montent frilleux à cette analyse, les experts rappellent que lorsqu’il y a superposition entre une aire protégée et un bloc pétrolier, cela ne signifie pas que l’exploitation se fera dans l’aire protégée, car celle-ci peut être contournée et le gouvernement ne permettra pas d’exploitation dans les pars ni les aires protégées.

“C’est la production de pétrole, perçue comme peu vertueuse, qui est susceptible de nous donner les moyens suffisants pour accélérer l’action climatique en RD-Congo et verdir notre développement, car ces moyens aujourd’hui nous font cruellement défaut », a soutenu l’ambassadeur Tosi Mpanu Mpanu.

Expert en Finance climatique, en Énergies renouvelables et en Développement durable, l’Ambassadeur Tosi Mpanu Mpanu est diplomate et négociateur sénior de la RDC pour la Convention Cadre des Nations Unies pour le Changement Climatique. Dans une interview révélatrice et fort enrichissante, il livre son point de vue sur le lancement, par le gouvernement de la RDC, des appels d’offres sur 27 blocs pétroliers et 3 blocs gaziers ces 28 et 29 juillet 2022.

Le Journal : La RDC a initié un processus d’appels d’offres sur 30 blocs pétroliers et gaziers. Qu’est ce qui justifie une telle démarche ?

Tosi Mpanu Mpanu : Il est d’abord important de placer cette démarche dans un contexte international caractérisé par deux crises majeures : la pandémie de la COVID-19 qui a obéré la croissance économique à l’échelle globale et la crise ukrainienne qui met à mal plusieurs économies, notamment celles du continent africain, à travers des chocs exogènes incontrôlables qui accentuent leur vulnérabilité. La RDC n’est pas épargnée par ce contexte international difficile.

Il faut ensuite comprendre qu’au-delà des énormes services environnementaux que la RDC rend à la planète entière grâce à son énorme capital forestier, la priorité de son gouvernement est et demeure de réduire la pauvreté de sa population et d’assurer les conditions d’une croissance socio-économique qui soit inclusive, en ne laissant aucun congolais de côté. Pour cela, le gouvernement jouit d’un droit souverain d’user de différents leviers de croissance, notamment la monétisation de certaines de ses ressources naturelles localisées dans les confins de notre territoire national. Nos ressources pétrolières et gazières font partie de cet énorme potentiel à même de permettre à la RDC d’accélérer sa quête vers l’éradication de la pauvreté et vers le statut de pays émergent.

Le gouvernement congolais s’est ainsi résolu à favoriser la montée en puissance de notre secteur des hydrocarbures et cette option s’est trouvée réaffirmée lors du dernier conseil des ministres par l’élargissement de ces appels d’offres qui sont passés de 16 à 30 blocs pétroliers et gaziers.

Il est primordial pour la RDC de s’assurer que cette démarche soit comprise au niveau international et qu’elle revête le plus haut degré de crédibilité possible. C’est pour cela, par exemple, qu’en développant son potentiel pétrolier et gazier, la RDC ne doit en aucun cas renoncer aux engagements auxquels elle a souscrit au niveau international, tels que l’Accord de Paris (21% de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030), l’Agenda 2030 (atteinte des 17 objectifs du développement durable) ou le Challenge de Bonn (reboisement de 8 millions d’hectares sur le territoire national). A ce propos, conformément à l’article 215 de notre Constitution, ces traités et accords internationaux conclus ont une autorité supérieure à celle de nos lois et nous sont donc opposables. Par conséquent, il faudra nous assurer que nos investissements dans le secteur des hydrocarbures nous aident à atteindre ces objectifs internationaux, voire à les surpasser.

Enfin, nous sommes d’avis qu’il ne faille point s’enfermer dans une logique manichéenne consistant à penser, d’une part, que l’exploitation de notre pétrole est simplement mauvaise car polluante ou, d’autre part, que la non exploitation de ce même pétrole est vertueuse car préservant l’environnement ambiant. Il nous faut plutôt arriver à une voie médiane nous permettant à la fois de procéder à l’exploitation de notre pétrole tout en minimisant les risques d’impacts négatifs sur notre environnement et nos populations riveraines. Nous pensons qu’il faille ainsi exiger à nos futurs partenaires d’utiliser les dernières technologies d’exploration et de production disponibles dans le secteur pétrolier (telles que la production sans torchage), de mener des études d’impact social et environnemental rigoureuses et de participer à un cadre de consultations multipartite visant à dégager un large consensus général sur toutes les décisions importantes. Une telle démarche transparente et inclusive, se basant sur les meilleures pratiques et procédures dans le domaine, nous permettra d’établir un cadre qui nous aide à atteindre le double objectif du développement de notre potentiel pétrolier et de préserver notre environnement.

L.J : La presse internationale (article publié dans le New York Times le 25 juillet 2022) a récemment fustigé vos propos selon lesquels « la priorité de la RDC n’est pas de sauver la planète ». Ces propos ne vont-ils pas pas à l’encontre de la position du Président Tshisekedi qui se définit comme un Champion de la cause environnemental et affirme que la RDC est un « pays solution » ?

TMM : Le Président de la République a raison, la RDC est un « pays solution » à travers ses forêts tropicales humides qui stabilise le climat mondial par photosynthèse, à travers ses minerais stratégiques tels que le cobalt qui est utilisé pour les batteries des voitures électriques et des systèmes solaires, et enfin à travers son énorme potentiel en énergies renouvelables. La RDC a un potentiel de 100.000 MW d’énergie hydroélectrique (44.000 MW pour le seul site de Inga) et un potentiel de 90.000 MW pour les autres formes d’énergies renouvelables telles que le solaire, l’éolien, la biomasse ou la géothermie. La RDC est un véritable « paradis pour les électriciens » et le pays a la capacité de fournir de l’électricité à toute l’Afrique et au Moyen Orient. Donc, la RDC est et demeure un « pays solution ».

Maintenant, quels sont les retombées financières dont bénéficie la RDC pour les innombrables services environnementaux et climatiques qu’elle fournit ? Où sont ces investissements tant attendus pouvant l’aider à réaliser son plein potentiel en énergies renouvelables ? La communauté internationale est-elle au rendez-vous pour nous accorder une compensation juste et équitable ? Le constat semble amer. Nous devrions également nous appesantir sur le précédent historique que constitue l’initiative Yasuni-ITT en Equateur, où le gouvernement a mis en jachère son exploitation pétrolière pendant 6 ans, sans recevoir la compensation promise par la communauté internationale de lui garantir un revenu équivalant à 50% de la valeur du pétrole qui aurait été produit. La RDC ne souhaite pas rééditer cette expérience malheureuse.

Il nous faut également nous pencher sur le profil actuel des émissions de gaz à effet de serre de la RDC. La plus grande source d’émissions de gaz à effet de serre du pays se trouve être la déforestation et la dégradation de nos forêts, essentiellement provoquées par l’agriculture de subsistance itinérante sur brulis et les besoins énergétiques. Or, au cours des deux dernières décennies, nous constatons que nous sommes en train de perdre ce combat contre la déforestation faute de moyens suffisants, suite aux promesses non tenues par nos partenaires internationaux ou aux difficultés de mobilisation de ressources adéquates en interne. En fait, pour résoudre la problématique de la déforestation en RDC et donc de la majeure partie de nos émissions de gaz à effet de serre de notre pays, il faut résoudre les problèmes de pauvreté des populations congolaises qui, faute de solutions viables, se tournent vers la forêt pour leurs besoins immédiats. Il est donc imaginable que ce soit en définitive les revenus générés par l’exploitation pétrolière, perçue par d’aucuns comme peu vertueuse, qui à terme renfloueront nos caisses nationales pour nous doter de moyens conséquents pour accélérer la transition écologique du pays vers un développement plus sobre en carbone.

Je réitère donc mes propos : « la RDC n’a pas vocation à sauver la planète, mais plutôt à réduire la pauvreté de sa population ». Ou alors pour utiliser une formule qui créera moins de controverse : « La responsabilité de sauver la planète ne peut pas incomber à la seule RDC ».

L.J: La récente décision du Président Biden d’augmenter la production américaine de pétrole donne-t-elle bonne conscience à la RDC pour exploiter son pétrole à son tour ?

TMM: Non, pas du tout. En RDC, nous ne pointons personne du doigt. Nous respectons les choix des uns et des autres qui sont sans nul doute motivés par un contexte local particulier et des circonstances nationales spécifiques. Tout comme nous estimons que personne ne devrait nous pointer du doigt et nous faire des reproches de manière paternaliste ou condescendante. La décision de lancer ces appels d’offres en RDC émane d’une volonté politique au niveau le plus élevé de l’Etat visant à mettre à contribution notre énorme potentiel pétrolier en vue de régler les problèmes socio-économiques auxquels font face nos populations. Il s’agit donc d’une démarche par le Congo pour le Congo, sans tenir compte des choix opérés par les autres pays.

L.J: L’élargissement de ces appels d’offres implique donc un empiètement de ces blocs sur des aires protégées telles que le Parc des Virunga et les zones de tourbières ? Pensez-vous que des compagnies seraient suffisamment inconscientes pour aller tuer les gorilles de montagne et détruire leur habitat ?

TMM: En effet, certains de ces blocs semblent malheureusement sur certaines aires protégées, mais pas sur les zones des tourbières. Il s’agit là de l’illustration d’un défi majeur auquel notre pays la RDC est confrontée, celui d’établir un plan d’aménagement du territoire qui puisse mettre en harmonie différents secteurs de la vie national qui sont en perpétuelle compétition pour l’occupation du même espace. Nous avons ainsi en RDC plusieurs cadastres (foncier, minier, forestier, agricole, etc.) qui ne se parlent pas entre eux et qui créent des situations d’envahissement ou d’empiètement d’une activité sur une autre.

Il nous faut toutefois relativiser la gravité de cette situation et d’éviter de verser dans l’activisme militant ou dans la caricature. A travers ces appels d’offres, la RDC s’est inscrite de manière responsable dans une démarche sérieuse et crédible. Il n’y aura pas d’exploitation pétrolières dans les aires protégées de la RDC. Personne ne permettra que des acteurs peu vertueux viennent impunément détruire nos tourbières ou de tuer notre faune endémique, souvent déjà menacée. Ces préjugés et ces idées préconçues doivent absolument cesser. Nous voulons établir un cadre réglementaire qui tienne compte des meilleures pratiques dans le domaine pétrolier et qui soit sous-tendu par des études d’impact rigoureuse et fiables.

Les techniques actuelles de prospection, notamment les recherches sismiques en 3D, permettent de circonscrire de manière précise la zone à forer en minimisant autant que possible la perturbation des zones alentours. De plus, il existe aujourd’hui des techniques telles que le forage non directionnel (forage oblique) qui permettent d’éviter un forage vertical au milieu d’une aire protégée ou d’une zone de tourbières. Ces solutions sont indubitablement plus onéreuses que les opérations d’extractions normales et conventionnelles, mais la RDC n’hésitera pas à imposer un tel surcoût de production si cela permettra de sauvegarder de précieux écosystèmes et la biodiversité du milieu ambiant.

L.J: Sommes-nous sûrs de trouver du pétrole dans des blocs superposés ou à proximité des aires protégées ?

TMM: Comme je l’ai dit précédemment, la RDC veut mener ce processus d’appels d’offres de manière transparente, informée et responsable. Des mesures de sauvegarde environnementale et sociale seront appliquées tout au long de notre démarche pour éviter que celle-ci ne nuise à notre environnement, à nos écosystèmes et à nos populations. Il en va de même pour l’impact sur nos aires protégées que nous souhaitons minimiser ou simplement éviter. Nous évoluerons de manière graduelle, au cas par cas, décidant de l’option qui nous paraît la plus pertinente et la moins dommageable. A ce stade, nous avons des indices précis qui semblent indiquer la présence d’hydrocarbures dans chacun des blocs proposés. Toutefois, seuls des recherches précises permettront de confirmer cette présence, et des études rigoureuses permettront de déterminer la viabilité de l’exploitation à venir, en termes techniques et financiers.

Les aires protégées sont actuellement sous la pression de la croissance démographique et sous la menace des alternatives faciles à la réduction de la pauvreté. La solution de la préservation de ces aires protégées pourrait paradoxalement provenir de l’exploitation pétrolière à proximité puisque dotant l’Etat des précieuses ressources financières qui lui font actuellement défaut pour assurer la pérennisation de ces zones. Ainsi, le jeu semble véritablement en valoir la chandelle.

Le Journal