Le contrôle et la délivrance de la carte de résidence pour étrangers sont-ils de la compétence du Gouverneur et de l’Hôtel de Ville de Kinshasa ?

0
17

«La Ville de Kinshasa informe tous les étrangers ou expatriés (adultes, enfants, missionnaires et mineurs à partir de l’âge de 6 (six) résidant à Kinshasa, (exceptés les membres du Corps diplomatique et consulaire, les fonctionnaires internationaux, leurs conjoints ainsi que leurs enfants mineurs non mariés vivant sous leurs toits) qu’elle procédera conformément à la Constitution de la République Démocratique du Congo, spécialement en son article 204 point 27 et à l’Ordonnance N°83-003 du 12 septembre 1983 relative à la police des étrangers ainsi qu’à l’Ordonnance N°83-164 du 12 septembre 1983 portant mesure d’exécution de ladite Ordonnance-loi, 

à partir de ce 5 juillet 2022 qu’elle procédera à l’identification de tous les étrangers de Kinshasa et à la délivrance de la carte de résidence pour étrangers », indique un communiqué officiel portant la signature du Gouverneur de la Ville-Province de Kinshasa, Gentiny Ngobila Mbaka.

Les compétences sont d’attribution

A titre pédagogique, décryptons ce document de l’Hôtel de Ville de Kinshasa pour tirer au clair cette affaire du contrôle et de la délivrance de la carte de résidence pour étrangers qui a débuté en date du 5 juillet 2022. Par le truchement de son président, Albert Yuma Mulimbi, la Fédération des Entreprises du Congo (FEC) a, pour sa part, vigoureusement réagi comme nombre d’étrangers, expatriés, opérateurs économiques, etc.

Effectivement, comme l’indique le communiqué officiel susmentionné, l’article 204 de la Constitution du 18 février 2006 telle que modifiée par la Loi n°11/002 du 20 janvier 2011, énumère les matières étant de la compétence exclusive des Provinces. En son point 27, figure cette matière : « l’exécution des mesures du droit de résidence et d’établissement des étrangers, conformément à la loi ». La loi ou Ordonnance-loi en question est celle de la police des étrangers et porte le N°83-033 et non pas N°83-003.

Cependant, en son article 1er, l’Ordonnance 83-164 portant mesures d’exécution de l’Ordonnance-loi 83-033 du 12 septembre 1983 dispose : « La carte de résidence est délivrée, prorogée ou renouvelée par le commissaire de zone du lieu de résidence de l’étranger. » Le concept Commissaire de zone sous-entend bourgmestre de la commune. C’est donc cette entité déconcentrée qui a la compétence de délivrer proroger voire renouveler la carte de résidence pour étrangers et non pas le Gouverneur de Province, encore moins d’une quelconque commission provinciale.

Etant donné que dans le même communiqué, le Gouverneur Ngobila a annoncé cette autre mesure et a mis en garde les contrevenants comme suit : « Pour ce faire, tous les étrangers sont tenus de se présenter dans les 10 jours à dater du 05 juillet 2022, à la Commission provinciale de supervision de la délivrance de la carte de résidence pour étrangers […] La Ville prévient en outre, qu’est passible d’une amende équivalent à 50% du montant à acquitter en sus du principal, l’étranger qui n’aura pas obtenu sa carte de résidence dans le délai requis et ce, sans préjudices des sanctions prévues par la législation en matière de la police des étrangers. » Déjà, ladite Commission provinciale met à la disposition des étrangers ou expatriés la carte à puce ou carte biométrique. Pourtant, le modèle de la carte de résidence pour étrangers se trouve en annexe de l’Ordonnance précitée. Le prix de cette carte est fixé par voie d’édit, autrement dit, par des assemblées délibérantes et non pas le gouvernorat qui perçoit une taxe prévue par la loi. En Droit public, les compétences sont d’attribution.

Quid du contrôle de séjour?

Selon la Constitution, le contrôle de séjour (la police des étrangers) est une prérogative régalienne du Gouvernement central. Le Décret-Loi N°002/2003 du 11 janvier 2003 portant création et organisation de la Direction Générale de Migration (DGM) énonce, en son article 3, les missions dévolues à ce service public, notamment : la police des étrangers et la délivrance du passeport ordinaire aux nationaux et des visas aux étrangers.

La force de la loi c’est la sanction. Quelle est la conséquence que le Gouverneur va tirer du refus d’un étranger de se présenter à la Commission provinciale ? Va-t-il le refouler ? Certainement pas. Ce communiqué officiel fixe des amendes qui n’ont pas de plafond. Les amendes de la DGM sont transactionnelles c’est-à-dire prévues par la loi. Quant à la délivrance de la carte de résidence, elle est une compétence transversale. Il y a d’abord le visa de court séjour (touristique) qui s’étend de 1 à 6 mois. Ce n’est qu’après que la DGM peut octroyer le visa d’établissement, lequel est préalable à la carte de résidence. La RD Congo a un régime dualiste car la loi a séparé l’établissement de la résidence. L’un étant tributaire de l’activité de l’étranger, et l’autre de sa situation géographique. L’entité de base (la commune) délivre la carte de résidence pour étrangers sur base des informations lui fournies par la DGM présente dans chaque commune. Malheureusement, comme le fait constater la FEC, le titre sollicité n’est pas mis à la disposition des requérants. Aussi, la compétence de délivrer la carte de résidence pour étrangers a-t-elle été attribuée, depuis plusieurs années jusqu’à l’heure actuelle, à la Direction de la Population au sein du Secrétariat Général du Ministère de l’Intérieur et Sécurité. Il apparait clairement que l’’Hôtel de Ville de Kinshasa a donc marcher sur les compétences des autres, sur la loi. Qu’en serait-il si les autres provinces lui emboiter le pas ? Anarchie.

La FEC monte au créneau

Dans sa correspondance datée du 6 juillet 2022 adressée au Gouverneur de la Ville de Kinshasa, le président de la Fédération des Entreprises du Congo, Albert Yuma Mulimbi, rappelle ce qui suit : « Pour votre gouverne, la police des étrangers est une matière relevant de la compétence exclusive du Pouvoir Central (article 202 point 3 de la Constitution) et l’exécution du droit de résidence et d’établissement des étrangers conformément à la Loi, celle réservée à la province (article 204 point 27 de la Constitution). Face à cette situation visiblement de double emploi et de superposition des actes du pouvoir central et celui de la province dans la perception et la délivrance de la carte des résidents pour étrangers, préjudiciables au climat des affaires, la FEC a saisi le Gouvernement pour des mesures appropriées qui se font encore attendre […] Ainsi nous saisissons l’occasion pour solliciter le report de l’opération de contrôle pour besoin d’harmonisation des compétences, d’une part, et qu’en cette période plusieurs dirigeants et responsables étrangers des entreprises sont généralement en vacances à l’extérieur du pays, d’autre part. »

Certains pensent que la FEC pourrait aller plus loin dans sa démarche. Autrement dit, saisir le Conseil d’Etat pour faire annuler ce communiqué du Gouverneur de Kinshasa. Dossier à suivre.

James Mpunga Yende / Journaliste d’investigation