Visée d’un Consul général kényan à Goma, une simple maladresse ou un calcul politique ?

La désignation d’un Consul général par le Kenya à Goma, une ville sous occupation du groupe terroriste M23/AFC a défrayé la chronique et provoqué des commentaires en sens divers sur les réseaux sociaux au cours de ces dernières heures. La réaction du gouvernement congolais à cette nomination d’un consul général à Goma ne s’est pas fait attendre. Elle se veut ferme et juridiquement fondée, notent des sources diplomatiques.
Surtout que Kinshasa soutient que toute désignation consulaire sur son territoire doit impérativement passer par un accord préalable et la délivrance d’un exequatur par le ministère des Affaires étrangères, conformément à la Convention de Vienne de 1963 sur les relations consulaires. Ces sources font deux lectures possibles du geste kényan en soulignant la méconnaissance des procédures diplomatiques.
Dans un tel cas, il est possible que Nairobi ait agi sans mesurer pleinement les implications juridiques et politiques de cette nomination, car le contexte sécuritaire à Goma -sous occupation illégale du M23/AFC soutenu par le Rwanda- rend toute initiative diplomatique particulièrement sensible. Ce qui fait que le gouvernement congolais insiste sur la nécessité de passer par les canaux diplomatiques établis, signe d’une volonté d’éviter l’escalade et de privilégier la pédagogie diplomatique.
Sur un autre registre, ces sources font allusion à un geste de provocation ou maladresse politique de la part de Kampala, en y voyant une tentative de légitimation implicite de la présence étrangère ou rebelle dans une zone sous tension.
Leur appréhension trouve son sens dans le fait que cette nomination est rendue publique sans consultation préalable, ce qui peut être perçu comme une atteinte à la souveraineté congolaise.
Surtout que ce geste intervient dans un climat déjà tendu entre Kinshasa et Nairobi, notamment après des différends sur la présence de figures politiques liées au M23 sur le sol kényan.
S’il est vrai que le Kenya semble avoir agi sans respecter les normes diplomatiques établies, mais il reste à déterminer si cela relève d’une simple maladresse ou d’un calcul politique, il est aussi vrai que Kinshasa, de son côté, vient d’adopter une posture de fermeté tout en réaffirmant son attachement à des relations bilatérales respectueuses et à la coopération régionale.
POTENTIELLES CONSÉQUENCES…
La nomination par le président kényan William Ruto d’un consul général à Goma, sans l’accord préalable de Kinshasa, est susceptible de provoquer une série de conséquences diplomatiques, juridiques et sécuritaires majeures dont les principales implications pourraient au niveau juridique et diplomatique, être percue comme une violation du droit international dès lors que la Convention de Vienne de 1963 stipule que toute mission consulaire doit être approuvée par l’État hôte. Sans exequatur délivré par la RDC, cette nomination est juridiquement invalide.
La même nomination serait comprise comme une atteinte à la souveraineté congolaise du moment qu’installer un consul dans une ville sous occupation rebelle (M23/AFC), est perçu comme une reconnaissance implicite de l’autorité de facto de ces groupes armés.
Ceci peut donner lieu à une rupture diplomatique en poussant Kinshasa à envisager des mesures de rétorsion, comme le rappel de son ambassadeur, la fermeture de l’ambassade kényane ou l’expulsion du personnel diplomatique. Mais l’on en est pas encore là. Quant aux conséquences politiques et géopolitiques du geste de Kampala, nombreux sont ceux qui craignent l’aggravation des tensions RDC–Kenya, surtout que cette décision intervient dans un climat déjà tendu, marqué par des accusations de partialité de Nairobi dans le processus de paix régional.
L’on craint également pour l’affaiblissement de l’EAC, parce qu’en tant que président en exercice de la Communauté d’Afrique de l’Est, William Ruto compromet la neutralité de l’organisation, ce qui pourrait miner sa crédibilité et diviser ses membres.
Le geste du président kényan est un encouragement indirect au M23, car symboliquement, cette nomination pourrait renforcer la position du M23/AFC en leur conférant une forme de légitimité diplomatique.
Les conséquences sécuritaires du geste kényan pourraient, elles, porter les marques de la recrudescence des tensions militaires, parce que des mouvements de troupes rebelles ont été observés à Sake après cette annonce, ce qui a tout pour inquiéter les populations locales, tout comme il y a risque d’escalade régionale. Dans la mesure où, si d’autres États suivent l’exemple du Kenya, cela pourrait créer un précédent dangereux et encourager la fragmentation territoriale.
En somme, cette nomination dépasse largement le cadre administratif et pourrait redéfinir les équilibres diplomatiques dans la région des Grands Lacs. Kinshasa se retrouve face à un dilemme : réagir fermement pour défendre sa souveraineté, ou chercher à préserver les liens régionaux sans légitimer l’occupation. Surtout que la nomination d’un consul sans exequatur est rarement un simple oubli administratif, elle est souvent perçue comme un acte politique.
LE RECIDIVISTE KENYA !
Pour la petite histoire, le Kenya n’est pas à son premier coup, parce que le gouvernement congolais avait déjà réagi vivement à la présence de figures politiques liées au M23 sur le sol kényan, notamment Corneille Nangaa et Bertrand Bisimwa.
En décembre 2023, Kinshasa avait rappelé son ambassadeur au Kenya et convoqué le chargé d’affaires kényan pour protester contre ce qu’elle considérait comme une légitimation indirecte d’un mouvement rebelle.
Laurent BUADI
