TRISTE SPECTACLE A LA SNEL: Jean-Lucien Bussa livre Luc Badibanga en pâture !

Le triste spectacle des courriers circulant sur les réseaux sociaux adressés par le ministre du Portefeuille Jean-Lucien Bussa au Président Luc Badibanga interroge les Congolais sur le fonctionnement des entreprises dont l’Etat est actionnaire. La substance des courriers adressés par le ministre du Portefeuille au Président du conseil d’administration de la SNEL frise les remontrances faites à un écolier et le jette en pâture sur la place publique.
Un lynchage médiatique
La pratique de la diffusion des courriers administratifs dans les réseaux sociaux porte gravement atteinte au principe de confidentialité et nuit délibérément à leurs destinataires. Cette pratique s’est répandue au point que les destinataires prennent souvent connaissance des courriers qui leurs sont adressés dans les réseaux sociaux. On peut affirmer avec certitude que les secrétariats des cabinets ministériels et des administrations organisent la diffusion de ces courriers, puisqu’ils sont généralement acheminés par porteur et non par voie postale. La diffusion dans les réseaux sociaux des courriers adressés par le ministre du Portefeuille Jean-Lucien Bussa au Président du Conseil d’administration de la SNEL Luc Badibanga constitue un véritable lynchage médiatique.
Les Congolais appellent le législateur à pénaliser la diffusion non autorisée des communications administratives, avec des sanctions dissuasives pour les contrevenants. Il appartient au gouvernement de mener des campagnes pour sensibiliser les agents et fonctionnaires sur les conséquences juridiques et éthiques de la diffusion de courriers confidentiels. Pour ce faire, le gouvernement doit former les agents publics sur les bonnes pratiques en matière de gestion des documents administratifs, mais aussi améliorer les procédures internes par la mise en place de système de contrôle d’accès aux documents confidentiels.
Le caporalisme suranné du ministère du Portefeuille
L’Etat étant actionnaire unique de la SNEL, il serait approprié et plus transparent que remarques et remontrances du ministre du Portefeuille Jean-Lucien Bussa soient formulées dans le cadre des Assemblées générales, seul cadre autorisé par la législation en vigueur. L’Etat actionnaire peut y exprimer ses préoccupations de manière appropriée, conformément aux statuts et règlements de la SNEL. C’est à l’occasion des Assemblées générales que les discussions constructives s’’effectuent et que les décisions et les critiques sont acceptées par tous les acteurs concernés.
L’intervention de l’Etat actionnaire à travers l’instance prévue permet d’éviter les fuites préjudiciables de documents administratifs sur les réseaux sociaux. Les remarques formulées dans le cadre convenu favorisent la compréhension entre l’Etat actionnaire et les gestionnaires de la SNEL. La discussion dans les instances officielles permet la recherche de points d’accords dans un processus décisionnel rationnel, et les remarques faites dans ces cadres peuvent être intégrées dans les procédures de suivi et d’évaluation de l’entreprise. La caporalisation sur fond de menaces et d’injonctions d’un autre âge ne favorise pas le respect mutuel entre les autorités publiques et les gestionnaires et conduit à la diffusion publique des critiques.
Selon les normes internationales, la bonne gouvernance d’entreprise recommande que l’Etat actionnaire, à travers son ministère du Portefeuille, utilise les instances prévues pour exprimer ses préoccupations, afin de renforcer la confiance des gestionnaires de l’entreprise. Plutôt que d’adresser des remontrances par courrier qui peuvent être divulguées au détriment de leurs destinataires, le ministre du Portefeuille Jean-Lucien Bussa devrait privilégier les instances statutaires de la SNEL pour exprimer ses éventuelles critiques. Cela permettrait de respecter les procédures formelles et de renforcer la gouvernance, la transparence et les relations au sein de la SNEL.
Une tutelle imaginaire
Les anciennes entreprises publiques du Portefeuille de l’Etat sont actuellement régies par l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés après l’adhésion de la RD Congo au traité OHADA. Cette évolution a pour conséquence logique la suppression de la tutelle du ministère du Portefeuille et la suppression des Comités de gestion. Les entreprises commerciales, dont la SNEL est la plus importante, ont un statut propre, une assemblée générale, un conseil d’administration, une Direction générale et un collège de commissaire aux comptes. De ce fait la notion d’entreprise publique a disparu et il se pose la question, de bon sens, de l’utilité d’un ministère du Portefeuille de l’Etat. Il appartient au Gouvernement d’examiner attentivement l’utilité du maintien de ce ministère.
Il va de soi que le maintien d’un ministère du Portefeuille après la transformation des entreprises publiques en sociétés commerciales pose le problème de l’existence d’une expertise en gestion d’actifs et en gouvernance d’entreprise au sein de ce ministère, qui persiste à perpétuer les relations caporalistes qu’il entretenait sous la période de dictature avec les entreprises publiques. La poursuite de la pratique de l’ingérence politique dans des entreprises devenues commerciales nuit aux objectifs de performance. Des options doivent être examinées urgemment par le gouvernement pour une meilleure gestion des participations de l’Etat.
Plusieurs options sont à examiner, entres autres leur gestion par le ministère du Budget, permettant une centralisation des ressources publiques et l’alignement des participations de l’Etat sur les objectifs budgétaires et fiscaux. Mais il se poserait la question de l’expertise de ce ministère en gestion d’entreprises commerciales. La création d’une agence des participations de l’Etat pourrait employer des experts en gestion d’actifs, en finances et en gouvernance d’entreprise et serait la meilleure option envisageable, à l’instar de l’Agence des Participations de l’Etat en France (APE) ou de Temasek à Singapour. Cette agence spécialisée aurait pour missions de maximiser la valeur des participations de l’Etat en toute indépendance, avec une élimination certaine des ingérences politiques qui permettra un renforcement de la confiance des investisseurs et du public. En tout état de cause le maintien d’un ministère du Portefeuille de l’Etat au sein du Gouvernement n’est plus adapté à la gestion des participations dans des sociétés commerciales.
Les courriers attaquables de Bussa
Par un courrier du 17 mars 2025 le ministre Jean-Lucien Bussa adresse une surprenante demande d’explication au Président du Conseil d’Administration Luc Badibanga concernant la désignation d’un nouveau comité de direction. Le 20 mars 2025 par un courrier suivant largement diffusé sur les réseaux sociaux le ministre Jean-Lucien Bussa remet en question, contre toute attente, les nominations qui auraient été approuvées par le Conseil d’administration du 14 mars 2025 lesquelles « ne pourront être ni publiées, ni notifiées aux intéressés. Elles ne seront donc pas exécutées». Et par ailleurs le ministre Bussa « invite le Directeur Général (…) à ne procéder à aucune notification ».
Cette ingérence politique assortie d’une injonction inacceptable de l’Etat actionnaire dans la gestion de la SNEL, société commerciale dont les pouvoirs du Conseil d’administration sont statutaires, interroge d’autant plus que par un courrier du 11 janvier 2025 adressé au Président du Conseil d’Administration de cette société le ministre Jean-Lucien Bussa affirmait que « l’urgence et la nécessité de combler les vacances à certains postes de direction étant indéniable », il convenait de « veiller au strict respect des procédures internes ». On peine à imaginer que les procédures internes de la SNEL en matière de nomination d’un nouveau comité de direction consistent en injonctions ministérielles non prévues par le législateur. Effectivement, l’article 15 du Titre III des statuts de la SNEL indique que le Conseil d’administration a, entre autres missions, celle de « décider de la nomination, de l’affectation, de la promotion et, le cas échéant, du licenciement des cadres de commandement de direction de la Société ».
Il est donc incompréhensible devant la clarté de cette disposition statutaire que, par ses demandes d’explications adressées hors des instances appropriées, et par ses remontrances publiées sur les réseaux sociaux, le ministre du Portefeuille Jean-Lucien Bussa s’entête à considérer la SNEL comme une entreprise publique. Il perd ainsi de vue que l’actionnaire, fut-il unique, ne peut formuler ses préoccupations que dans le cadre d’une Assemblée générale laquelle peut, seule, annuler une décision prise par elle. La caporalisation des gestionnaires des entreprises du Portefeuille de l’Etat par voie de courriers intimidants est contreproductive et les plaintes des sociétés commerciales dans lesquelles l’Etat est actionnaire se multiplient contre les immixtions du ministère du Portefeuille inconciliables avec leurs nouveaux statuts conformes à l’OHADA.
Bien que le ministre du Portefeuille puisse exercer un pouvoir disciplinaire sur les mandataires publics dans les formes prévues par la loi, ceux-ci disposant d’un droit à la défense. Mais cette prérogative ne peut en aucun cas porter sur les actes ou les décisions des organes statutaires des sociétés dans lesquelles l’Etat est actionnaire. En aucun cas le ministre du Portefeuille n’est autorisé par la loi à remettre en cause une décision prise par les organes statutaires de la SNEL. Cependant des instructions directes sont données par le ministre Jean-Lucien Bussa au Directeur général de la SNEL en violation des statuts de cette société et, en septembre 2024, il aurait tenté de récuser une décision de l’Assemblée générale rejetant les états financiers, position hors de ces compétences. La teneur des courriers adressés au Président du Conseil d’Administration de la SNEL est d’autant plus incompréhensible que des conseillers du cabinet du ministère du Portefeuille, désignés par le ministre Bussa lui-même, par une lettre du 26 novembre 2024, ont activement participé au processus de désignation du nouveau Comité de direction qu’il récuse à travers des remontrances injustifiées et des injonctions illégales.
Une compétence avérée à la tête de la SNEL
Les Conseils d’administration des sociétés commerciales dans lesquelles l’Etat est actionnaire ont pour rôle d’orienter leurs activités comme organe de conception, de contrôle et de décision. Le choix de Luc Badibanga à la présidence du Conseil d’administration de la SNEL fut une heureuse décision pour piloter la modernisation de cette société. Juriste titulaire d’un DEA de droit de la Sorbonne et économiste des marchés en développement de cette prestigieuse université, il possède une longue expérience de manager d’entreprises d’envergure mondiale, dont British American Tobaco, et Philip Morris dans une dizaine de pays africains. Il a exercé à de nombreuses reprises des mandats d’administrateur et de présidence de conseil d’administration. Ce spécialiste des restructurations a redressé de nombreuses entreprises en augmentant leurs bénéfices. Administrateur dans plusieurs sociétés, Luc Badibanga a été également actif dans le secteur minier au sein de l’Entreprise Générale de Cobalt, et fût vice-Président national de la FEC.
Un tel profil, qui combine des compétences managériales et stratégiques dans la gestion d’entreprises de grande envergure est capable de mener de profondes réformes et d’apporter à la SNEL une nouvelle culture organisationnelle. Les Congolais espèrent que le ministre du Portefeuille Jean-Lucien Bussa considèrera à leur juste valeur les compétences managériales du Luc Badibanga, afin de développer dans l’intérêt de l’Etat actionnaire une véritable stratégie de modernisation des infrastructures de la SNEL.
Léon ENGULU III
Philosophe et ingénieur agronome,
ancien Coordonnateur adjoint et a.i.
du Mécanisme National de Suivi,
chargé de la préparation des réformes en RDC
