Leçon de philosophie politique aux institutionnels congolais, sur le bon usage du régime semi-présidentiel

 Leçon de philosophie politique aux institutionnels congolais, sur le bon usage du régime semi-présidentiel

1. Les fondements philosophiques du régime semi-présidentiel
Le régime semi-présidentiel, conceptualisé par la Constitution française de 1958 sous l’impulsion du Général de Gaulle et de Michel Debré, répondait à une philosophie politique profonde : corriger les faiblesses du parlementarisme absolu de la IVe République, tout en évitant les écueils du présidentialisme pur. Son essence réside dans l’équilibre des pouvoirs, une dialectique constructive entre un exécutif fort et légitime, et un parlement souverain contrôlant l’action gouvernementale. Ce régime postule que la stabilité et la démocratie procèdent de cette tension créatrice, et non de la domination d’un pouvoir sur l’autre.

2. La séparation des pouvoirs et l’autonomie des institutions

Au cœur de ce système se trouve la séparation des pouvoirs rigoureuse. Le Président, élu du peuple, incarne la continuité de l’État et définit les grandes orientations. Le Gouvernement, dirigé par le Premier ministre, « conduit la politique de la nation ». L’Assemblée nationale, émanation de la souveraineté populaire, légifère et contrôle l’exécutif. Chaque institution est autonome dans sa sphère de compétence. La confusion des rôles, l’instrumentalisation d’une institution par une autre, ou le mépris de leur autonomie constituent une violation de l’esprit du régime. L’Assemblée n’est pas une annexe de l’exécutif ; elle en est le contre-pouvoir constitutionnel.

3. Le Gouvernement, émanation du Parlement : un principe cardinal
Un principe fondamental, souvent mal compris, est que dans un régime semi-présidentiel équilibré, le Gouvernement est politiquement responsable devant le Parlement. Bien que nommé par le Président, le Premier ministre doit posséder ou obtenir la confiance de l’assemblée. Le Gouvernement est donc, dans son essence politique, une émanation du Parlement. Prétendre inverser cette logique, faire du Parlement une émanation du Gouvernement ou du Palais de la Nation, c’est trahir le contrat constitutionnel. C’est rétablir une forme de césarisme déguisé que le système gaullien voulait justement éviter.

4. Le régime semi-présidentiel cherche à éviter l’instabilité et l’effacement parlementaire
Le modèle de 1958 a été conçu pour conjurer deux maux. D’abord, l’instabilité gouvernementale chronique, où les cabinets tombaient au gré des coalitions parlementaires. Ensuite, l’effacement du rôle du chef de l’État, réduit à une fonction honorifique. En dotant le Président d’une légitimité propre et de pouvoirs substantiels, et en encadrant strictement la motion de censure, le système a assuré une stabilité exécutive sans pour autant anéantir le pouvoir législatif. L’Assemblée reste le lieu du débat, de la loi et du contrôle.

5. Le régime semi-présidentiel corrige la confiscation du débat démocratique
Le système se méfie de la confiscation du débat démocratique par un exécutif tout-puissant. En garantissant l’indépendance et l’autorité du Parlement, il s’assure que la politique nationale n’est pas le fait d’un seul homme ou d’un seul cabinet, mais le résultat d’un dialogue institutionnel. Un Parlement affaibli, contrôlé ou méprisé par l’exécutif, n’est plus un contre-pouvoir. Il devient une chambre d’enregistrement, vidant de sa substance la démocratie représentative.

Démissionner du gouvernement à la moitié de la législature pour briguer la présidence de l’Assemblée nationale, sans y avoir siégé après avoir été élu, exprime une ignorance condamnable des fondements du régime semi-présidentiel. Accepter cette manœuvre c’est confirmer l’incompréhension générale de la nature du régime semi-présidentiel.

6. La manœuvre en cours est une violation de la nature du régime semi-présidentiel
La manœuvre politique consistant pour un ministre en exercice à démissionner pour briguer » la présidence de l’Assemblée nationale constitue une violation profonde de l’esprit du régime semi-présidentiel. Elle symbolise la négation de l’autonomie parlementaire. Elle transmet le message funeste que la plus haute fonction de l’assemblée n’est pas le couronnement d’un travail parlementaire et d’une légitimité acquise parmi les pairs, mais un poste que l’exécutif peut se redistribuer à sa guise. C’est une confusion des genres institutionnels des plus graves.

7. La perception désastreuse dans l’opinion et à l’étranger
Une telle manœuvre est perçue, à juste titre, par l’opinion nationale et internationale comme un signe de déficit démocratique. Elle donne l’image d’un pouvoir combinard, où les calculs politiciens et les équilibres ethniques priment sur le respect des institutions. Elle sape la confiance des citoyens en leurs représentants et discrédite l’ensemble de la classe politique. À l’étranger, elle renvoie l’image d’une démocratie immature, où les formes constitutionnelles sont respectées dans la lettre mais trahies dans leur esprit.

8. Une première mondiale depuis la création du régime en 1958
Il est nécessaire de souligner l’ampleur de cette transgression. Depuis l’avènement de la Ve République française en 1958 et son adoption par d’autres nations, aucun pays ne semble avoir connu un scénario où un ministre quitte le gouvernement pour tenter de s’emparer, avec l’apparent soutien de l’exécutif, de la présidence de l’assemblée. Ce serait une innovation dangereuse, une première mondiale, qui marquerait tristement l’histoire des régimes semi-présidentiels, en pervertissant leur fondements.

9. Les conséquences : illégitimité et empoisonnement du dialogue institutionnel
L’éventuelle élection d’un tel candidat créerait une présidence illégitime, perpétuellement suspectée de servir de relais à l’exécutif plutôt que de défendre l’institution qu’elle est censée incarner. Chaque décision du président de l’Assemblée serait interprétée comme émanant du Palais de la Nation. Cette illégitimité originelle empoisonnerait le dialogue entre les pouvoirs, transformant une relation constitutionnellement prévue pour être de contrôle et d’équilibre en une relation de subordination et de défiance.

C’est un basculement hors-la-loi vers un régime présidentiel sans balance des pouvoirs, c’est un césarisme de fait.

10. L’orthodoxie républicaine doit être maintenue
La leçon de philosophie politique que nous présente cette crise est claire : la force des institutions réside dans le respect scrupuleux de leur rôle et de leur autonomie. Le régime semi-présidentiel n’est pas un jeu de pouvoir où tous les coups sont permis. C’est une architecture délicate fondée sur la séparation, l’équilibre et le respect mutuel. Préserver l’héritage de ce régime, c’est rejeter les manœuvres qui brouillent les frontières entre l’exécutif et le législatif. C’est affirmer, par des actes et non seulement par des mots, que le Parlement est et doit rester le sanctuaire de la représentation nationale, souverain dans son choix et indépendant dans son action. La République congolaise mérite que ses institutions fonctionnent selon l’orthodoxie qui garantit leur pérennité et leur crédibilité.

C’est le devoir de Félix Tshisekedi, Président de la République, Chef de l’État, d’y veiller en garant du bon fonctionnement des institutions.

Léon Engulu III
Philosophe
(Major, Université Libre de Bruxelles)

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