Affaire Mutamba : Mvonde gardien du bon droit

Kinshasa, RDC – L’affaire Constant Mutamba, actuel Ministre d’État, Ministre de la Justice et Garde des Sceaux, domine l’actualité politique et judiciaire en RDC. Il est au cœur d’une tempête judiciaire suite à la demande d’autorisation d’instruction introduite par le Procureur Général près la Cour de Cassation, Firmin Mvonde, auprès de l’Assemblée nationale.
Cette démarche, déjà soutenue par la commission spéciale de l’Assemblée nationale (17 voix contre 2), constitue un signal fort pour l’État de droit dans notre pays. La plénière de la Chambre basse, dirigée par Vital Kamerhe, devrait se prononcer dans quelques jours sur l’autorisation d’instruction à charge de Constant Mutamba.
Mvonde justifie sa demande d’autorisation
Firmin Mvonde, Procureur Général près la Cour de Cassation, a présenté à la Commission spéciale de l’Assemblée nationale – qui statuait sur la recevabilité de sa demande d’autorisation d’instruction – une note explicative détaillée de son réquisitoire n°183/RMP/2025 contre le ministre de la Justice Constant Mutamba. Les préoccupations de Mvonde concernent un présumé détournement de 19,9 millions USD, dans le cadre de la construction d’une maison d’arrêt à Kisangani. Ces fonds proviendraient du compte du FRIVAO, un fonds spécifiquement alloué à l’indemnisation des victimes des activités illicites de l’Ouganda en RDC entre 1998 et 2003. Dans cette note, les éléments présentés par le Procureur Mvonde convergent vers des irrégularités flagrantes, notamment le changement de destination des fonds. Les 19,9 millions USD, initialement prévus pour les victimes de l’Ouganda, auraient été réorientés vers un projet de construction carcérale. Pour l’accusation, il s’agit d’un changement d’affectation, constituant un détournement potentiel. La procédure de marché public suivie par le ministre de la Justice serait entachée d’irrégularités : le Ministre Mutamba aurait eu recours à une procédure de gré à gré (sans appel d’offres) pour la construction d’une prison à Kisangani. Bien qu’une autorisation ait été obtenue de la Direction Générale de Contrôle des Marchés Publics (DGCMP) après un premier refus, plusieurs étapes cruciales auraient été délibérément ignorées.
Le contrat de marché aurait été signé le 14 avril 2025, alors que la demande d’approbation adressée à la Première Ministre daterait du 1er avril 2025. Il est logiquement impossible d’approuver un contrat qui n’existe pas encore. De plus, le montant final du contrat (29 millions USD) diffère de l’autorisation spéciale de la DGCMP (39,87 millions USD). Une société au profil douteux, ZION CONSTRUCTION SARL, bénéficiaire des fonds, aurait été créée très récemment, le 28 mars 2024, spécifiquement pour ces travaux. Elle ne serait pas agréée par le Ministère des Infrastructures et Travaux Publics (ITP) et n’aurait qu’un seul employé déclaré, son associé actif, sans expérience avérée dans la construction d’ouvrages publics.
Violations flagrantes des règles financières
Le Procureur général Mvonde mentionne que le paiement des 19,9 millions USD à ZION CONSTRUCTION SARL s’est effectué sur un compte à la RAWBANK, différent de celui initialement prévu au contrat (Equity BCDC), et ce, sans aucun avenant formel. L’acompte versé, représentant 66% du montant du marché, dépasse largement le maximum légal de 30% prévu par l’article 152 du Décret n°23/12 pour les travaux publics. De plus, contrairement aux exigences de l’article 153 du même Décret, ce paiement n’aurait pas été accompagné d’une garantie bancaire d’égal montant.
Il apparaît également que Constant Mutamba n’aurait pas respecté les attributions ministérielles définies par l’Ordonnance n° 22/003 du 07/01/2022, qui réserve la compétence pour la conception et la construction d’édifices publics au Ministre des Infrastructures et Travaux Publics (ITP). Le Ministre de la Justice aurait outrepassé ses prérogatives, ignorant son collègue des ITP qui, selon les faits, n’aurait jamais été informé ni associé à la réalisation du dossier. Constant Mutamba invoque pour sa défense une décision du Conseil des Ministres du 8 novembre 2024 concernant la construction de la prison à Kisangani. Or, le compte rendu de cette réunion ne mentionne pas ce projet, mais plutôt des recommandations pour des maisons d’arrêt provisoires à Kinshasa.
Pour le Procureur Général Mvonde, ces irrégularités ne sauraient s’expliquer par de simples erreurs. Elles dénotent une architecture dont l’objectif final était le détournement des fonds, initialement destinés aux victimes. Il s’appuie sur plusieurs textes légaux pour étayer sa demande, notamment l’Article 145 du Code Pénal Livre II (CPLII) qui réprime le détournement des deniers publics. Mvonde précise que le Ministre, en tant qu’agent public (selon le décret-loi n° 017/2002), est assujetti à cette disposition.
Le Décret n° 23/12 du 03/03/2023 régissant les marchés publics est invoqué, notamment ses articles 20 (délai d’approbation) et 136 (exigence de l’avis de non-objection et signature préalable du contrat). L’Article 48 de la loi n°10/10 du 17/04/2010 relative aux marchés publics, concernant l’obligation de domiciliation bancaire du cocontractant, est également une disposition que le Procureur Général estime violée. Les Articles 152 et 153 du Décret n° 23/12, relatifs au plafonnement de l’avance forfaitaire à 30% et à l’obligation d’une garantie bancaire, n’auraient pas été respectés par le Ministre de la Justice. Enfin, l’Ordonnance n° 22/003 du 07/01/2022, fixant les attributions des Ministères, est mentionnée par le Procureur Mvonde pour souligner l’absence de compétence du Ministre de la Justice à signer un tel contrat.
La difficile défense de Constant Mutamba
Face à ces accusations détaillées, le Ministre Constant Mutamba aura la lourde tâche de convaincre le Procureur Général de son innocence. Ses moyens de défense envisageables, compte tenu de la précision de la demande du Procureur Général, apparaissent fragiles. Constant Mutamba pourra tenter de montrer son absence d’intention de détourner les fonds en arguant que ceux-ci, bien qu’issus du FRIVAO, étaient destinés à un projet d’intérêt public (la construction d’une prison), et qu’il n’y a eu aucune appropriation personnelle. Cependant, l’affectation spécifique du FRIVAO rend cet argument très faible : il y a manifestement un détournement de destination qui, à tout le moins, aurait dû faire l’objet d’une justification politique adoptée en Conseil des ministres.
Le Ministre de la Justice pourrait tenter d’invoquer l’urgence et la nécessité publique face à la surpopulation carcérale, arguant que l’urgence d’agir pourrait justifier des procédures accélérées ou un contournement de certaines étapes. Mais l’urgence ne dispense pas du respect de toutes les règles, surtout pour des sommes aussi importantes. De plus, les contradictions avec le Conseil des Ministres concernant la localisation du projet affaiblissent considérablement cet argument. Constant Mutamba pourrait attribuer les irrégularités à la complexité des procédures administratives, à des erreurs de ses services ou à des malentendus. Il pourrait tenter de minimiser la portée de chaque violation comme étant une erreur isolée. Cependant, la multiplicité et la gravité des irrégularités (avance de 66%, absence de garantie bancaire, changement de compte, contradiction des dates, incompétence ministérielle) rendent difficile de les attribuer à de simples erreurs. Elles suggèrent plutôt un schéma délibéré de contournement des règles.
Concernant le défaut de coordination interministérielle, le Ministre de la Justice pourrait arguer d’une lacune dans la coordination interministérielle plutôt que d’une usurpation délibérée de la compétence des ITP. Cependant, la note du Procureur Général indique que le Ministre n’aurait même pas réservé copie de ses correspondances au Ministre des ITP, ce qui rend l’argument de la défaillance de coordination peu crédible. Quant à la justification du choix de ZION CONSTRUCTION, le Ministre pourrait tenter de réaffirmer la capacité et le sérieux de la société, malgré son jeune âge et l’absence d’agrément, en avançant d’autres critères de sélection non mentionnés. Cependant, les faits sont têtus : une société créée un an auparavant, avec un personnel quasi inexistant et non agréée, est difficilement crédible pour un marché de cette envergure. Cela alimente les soupçons de favoritisme ou de création d’une coquille vide.
Vers des poursuites judiciaires ?
Le Procureur Général Firmin Mvonde a précisé que la phase actuelle est celle de l’instruction, et non encore des poursuites. Cette étape vise à permettre au Ministre Mutamba de « donner sa version des faits et présenter ses moyens de défense », ce qui constitue un droit fondamental. Si, après cette audition, le Ministre ne parvient pas à convaincre le Procureur Général et à « renverser les preuves à sa charge », Firmin Mvonde retournera devant l’Assemblée nationale pour solliciter, cette fois, l’autorisation des poursuites. Dans le cas contraire, le dossier sera classé sans suite. Le Procureur Général Mvonde insiste sur la nature purement judiciaire de cette affaire, démentant toute tentative de récupération politique ou de règlement de comptes. Il s’agit, selon lui, de faire triompher l’État de droit et de répondre au principe de redevabilité que le peuple congolais attend de ses dirigeants.
À ce stade de la procédure, le Ministre de la Justice Constant Mutamba devrait faire preuve de son sens de l’État en allant à la rencontre du Procureur Général Firmin Mvonde, afin de l’éclairer sur d’éventuelles failles de ses services administratifs dans le traitement du dossier. Mutamba pourra indiquer qu’il n’y a eu, de sa part, aucune intention de détournement ni de manœuvre d’enrichissement personnel, l’urgence et la nécessité ayant été ses seules priorités. Il pourra regretter la tournure des événements et ses emportements publics, promettre l’annulation de l’affectation des fonds et solliciter l’annulation du contrat de gré à gré devant le Conseil d’État. En toute circonstance, l’homme politique doit respecter l’État de droit et répondre sans atermoiements aux convocations du pouvoir judiciaire, ciment de l’ordre public.
L’issue de cette affaire aura des implications significatives pour la gouvernance et la lutte contre la corruption en RDC. Les Congolais, vigilants, attendent que la lumière soit faite et que la justice, indépendante, puisse suivre son cours et, le cas échéant, classer sans suite la procédure intentée contre le Ministre d’État, Ministre de la Justice et Garde des Sceaux Constant Mutamba, appelé à collaborer de bonne foi.
Léon ENGULU III
Philosophe,
Communicateur aux Etats-généraux de la Justice 2024
(Atelier 1, Accès au droit et à une justice de qualité)