RD Congo : les dessous du piège mortel de Lourenço

L’annonce surprise faite le 11 mars 2025 par la présidence angolaise sur la tenue de négociation directe entre le Gouvernement de la RD Congo et le M23 a surpris l’opinion congolaise, le président Félix-Antoine Tshisekedi ayant annoncé à plusieurs reprises le refus du gouvernement congolais de négocier avec les pantins du M23 à la solde de Kigali.
L’ancien Coordonnateur intérimaire du Mécanisme National de Suivi de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba Léon Engulu III révèle les dessous du piège mortel tendu de bonne foi par le Président angolais Joao Lourenço.
L’histoire ne se répète pas
Le 20 novembre 2012 Goma tombait aux mains du M23, après la défaite militaire prévisible d’une armée infiltrée d’étrangers par les brassages et les mixages depuis la chute du Maréchal Mobutu en 1997, et dirigée par un certain nombre de soldats affairistes collaborant avec les milices de pillages soutenues par le Rwanda en RD Congo. Ce 20 novembre 2012 le conseil de sécurité adoptait la résolution 2076 qui exigeait le retrait immédiat du M23 de la ville de Goma. Cette résolution fut exécutée dans les 24 heures suivante son adoption et, en son point 10, elle demandait aux acteurs concernés d’user de leur influence pour que le M23 mette un terme à ses hostilités. Quelques semaines plus tard, le président américain Barack Obama téléphonait au président rwandais Paul Kagame pour lui ordonner de retirer définitivement les troupes rwandaises et ses supplétifs du M23 dans les 72 h. Le résultat fût immédiat et le M23 fut cantonné durant une dizaine d’année dans des camps en Ouganda et au Rwanda.
A la suite de la nouvelle agression rwandaise dans l’est de la RD Congo reprise verà partir de 2022 et intensifiée au cours de 2024 la diplomatie congolaise animée par Thérèse Kayikwamba Wagner a obtenu d’importants succès, dont l’adoption de la résolution 2773 du 21 février 2025 obligeant le Rwanda à retirer ces troupes du territoire de la RD Congo. Mais contrairement à la situation de 2012, cette résolution qui a entrainé une salve internationale de soutiens à la RD Congo et de nombreuses sanctions contre le Rwanda n’a pas été suivie d’effets immédiats sur les théâtres d’opérations. L’armée rwandaise maintient son occupation des villes de Goma et de Bukavu et de plusieurs localités avec ses supplétifs du M23/AFC.
Kagame aux abois
Sous fortes pressions occidentales à la suite d’une nouvelle invasion de l’armée rwandaise dans l’est de la RD Congo en 2024 le président rwandais Paul Kagame est aux abois après la suspension en cascade de la coopération du Rwanda avec ses plus importants soutiens politiques et ses donateurs traditionnels. Les Etats-Unis ont pris des sanctions ciblées contre de hauts responsables rwandais et de la milice M23. Le parlement européen a voté en février 2025 le gel de l’aide budgétaire directe et de l’assistance militaire et sécuritaire au Rwanda. Dans la foulée, l’Allemagne, le Canada et l’Angleterre, longtemps soutien principal de Kigali, la Belgique et d’autres puissances européenne ont suspendu leurs aides au Rwanda.
Le président Paul Kagame a le dos au mur, l’aide internationale comptant pour près de 40 % de son budget. Dans ces conditions, l’arrêt de l’occupation de la RD Congo et de l’exploitation de ces ressources minières par les milices de pillages, notamment le coltant de la mine de Rubaya qui fournit 20 % de la production mondiale, serait une catastrophe pour le budget de Rwanda, dont l’essentiel des exportations minières proviennent du pillage des ressources de la RD Congo.
Kagame craint le pire, l’effondrement prévisible de l’économie rwandaise signerait la chute de son régime dictatorial. Pour y parer il a conçu avec ses alliés l’Ouganda, le Kenya et la Tanzanie, qui profitent du pillage des ressources de la RD Congo, un plan de la dernière chance pour permettre à son régime d’éviter l’effondrement économique. Ses lobbyistes sont parvenus à convaincre le président angolais Joao Lourenço d’organiser des négociations directes entre le gouvernement de la RD Congo et le M23 à Luanda.
Le piège mortel de Lourenço
Les pressions faites par les alliés est-africains du président rwandais Paul Kagame sur le président angolais Joao Lourenço pour inviter la RD Congo à une négociation directe avec le M23 à Luanda visent à piéger le président Félix-Antoine Tshisekedi. Cette manœuvre subtile qui a toute les apparences de la bonne foi vise à sauver Kagame d’une chute prochaine et cache un piège mortel pour la RD Congo. Si le Président Félix-Antoine Tshisekedi tombe dans ce piège le processus de Luanda entre la RD Congo et le Rwanda disparaît, car en appelant la RD Congo à une négociation directe avec le M23 en Angola, Lourenço renonce au processus de Luanda entre les Présidents Tshisekedi et Kagame dont il était le médiateur. Ensuite, le processus de Nairobi qui concerne la neutralisation de tous les groupes armés n’est plus d’aucun intérêt dès que la RD Congo commettrait la faute lourde de s’assoir en face du M23 à Luanda, légitimant ainsi les prétentions de ce mouvement qu’elle reconnaitrait alors de fait comme un mouvement congolais.
A travers cette habile manœuvre Paul Kagame se retire du processus de Luanda et s’y fait remplacer habilement par le M23. Dès l’ouverture des négociations directes sous la facilitation du président angolais Lourenço, le président Kagame s’insurgera contre les sanctions internationales en criant que son pays a été sanctionné injustement, présentant le M23 comme un mouvement armé congolais, avec la preuve que gouvernement congolais a accepté de négocier avec ce mouvement à Luanda, se dédouanant ainsi de toutes responsabilités militaires sur le terrain.
Si le gouvernement de la RD Congo commettait la faute irréparable de négocier directement avec le M23 à Luanda, le piège mortel se refermerait. Dès ce moment l’occupation du Rwanda et de ses supplétifs à Goma et à Bukavu sera de très longue durée, ainsi que l’occupation zones minières exploitées par le Rwanda en RD Congo à travers ses milices de pillages. Ce sera la première étape de la phase finale de la balkanisation de la RD Congo, attendue depuis 30 ans par le Rwanda et ses alliés est-africains prêtes à se répartir les ressources minières de l’est de la RD Congo.
Si la RD Congo tombe dans le piège mortel tendu de bonne foi par le président Joao Lourenço, le chef d’orchestre de sa balkanisation sera probablement l’ancien Envoyé spécial des Etats-Unis pour la région des Grands lacs Peter Pham, qui déclarait « pour sauver la RDC, il faut l’éclater ». Ce chantre de la balkanisation de la RD Congo est pressenti pour être le prochain Secrétaire d’Etat adjoint pour l’Afrique sous l’administration Trump. Il appartient aux autorités de la RD Congo de mener une diplomatie préventive et avisée à fin d’éviter le pire.
Léon ENGULU III
Philosophe, ingénieur,
Ancien Coordonnateur a.i du Mécanisme
National de Suivi de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba