QUI JUGERA KABILA ?

Le 22 mai 2025, le Sénat de la République Démocratique du Congo a levé l’immunité parlementaire du sénateur à vie Joseph Kabila, ancien président de la République de 2001 à 2019. Cette décision sans précédent ouvre la voie à des procédures judiciaires inédites et suscite des interrogations quant à linstance judiciaire compétente pour juger l’ancien chef d’État. Alors que la Haute Cour Militaire avait requis la levée de l’immunité, qui jugera Joseph Kabila? Le philosophe Léon ENGULU III apporte un éclairage sur la juridiction compétente pour rendre un jugement historique qui marquera un tournant décisif dans la gouvernance et la justice congolaises.
Joseph Kabila devant la justice
La décision du Sénat congolais, le 22 mai 2025, de lever l’immunité parlementaire du sénateur à vie Joseph Kabila, ancien président de la République Démocratique du Congo, marque un tournant judiciaire et politique d’une ampleur sans précédent. Accusé de faits de complicité avec la milice supplétive de larmée rwandaise AFC/M23 qui a auraient été commis après la fin de son mandat en janvier 2019, Joseph Kabila devra faire face à ces accusations qui soulèvent des questions fondamentales sur la juridiction compétente pour le juger.
Les faits reprochés à Joseph Kabila sont dune extrême gravité et relèvent potentiellement des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Cependant, l’analyse juridique se complexifie du fait que ces allégations concernent une période où il n’était plus en fonction, mais bénéficiant du statut juridique dancien président suivant les termes de la loi du 26 juillet 2018 portant statut des anciens présidents et qui définit leurs droits, devoirs et avantages. L’article 4 de cette loi rappelle aux anciens présidents leurs devoirs de citoyens et son article 5 leur donne lobligation patriotisme et de loyauté envers l’État et de faire montre dune fidélité sans faille envers la nation, le peuple congolais et les institutions de l’État. Les accusations de complicité avec lAFC/M23 tombent sous le coup de ces dispositions, justifiant la levée dimmunité.
Quelle juridiction pour Kabila ?
Après la levée de son immunité, les faits mis à la charge de Joseph Kabila seraient dune nature gravissime si la preuve était faite que lancien Président de la République se serait associé avec des groupes armés dans le dessein de compromettre la sécurité nationale ou de renverser les institutions légitime de la République démocratique du Congo. La question est de savoir quelle cour est compétente pour juger Joseph Kabila. La Haute Cour Militaire semble être loption logique de prime abord, compte tenu de la nature des accusations et du fait que cest elle qui a requis la levée des immunités. Les crimes de guerre et la complicité avec des groupes armés relèvent traditionnellement de la justice militaire en RDC. De plus, la loi de 2018 sur les anciens présidents ne désigne pas explicitement la Cour Constitutionnelle pour juger de tels cas. Cependant, le fait est que la Haute Cour Militaire n’est pas habilitée à juger des violations d’une loi organique liée au statut d’un ancien président, qui relèvent davantage du droit constitutionnel et ce point mérite un éclairage particulier.
La loi du 26 juillet 2018 portant statut des anciens Présidents de la République élus est une loi organique. Une loi organique est une catégorie de loi qui vient compléter la Constitution et en préciser les modalités d’application. Elle est située à un niveau hiérarchique supérieur aux lois ordinaires et est soumise à un contrôle de constitutionnalité obligatoire avant sa promulgation. De ce fait, les violations de cette loi relèvent du droit constitutionnel et échappent à la compétence de la Haute Cour Militaire pour le jugement dun ancien président.
Incompétence de la Haute Cour Militaire
Les raisons pour lesquelles la Haute Cour Militaire est incompétente pour juger un ancien Président pour violation de la loi de 2018, et pour lesquelles les violations de cette loi relèvent du droit constitutionnel sont de quatre ordres. Premièrement, la nature du statut d’ancien Président est directement liée à la fonction suprême de l’État, prévue et encadrée par la Constitution. Les devoirs et obligations qui en découlent, comme l’obligation de réserve ou lobligation de loyauté sont des prolongements des devoirs constitutionnels de cette haute fonction. En violant ces articles, l’ancien Président est accusé de ne pas avoir respecté les obligations attachées à son ancien statut constitutionnel. Deuxièmement, la Cour constitutionnelle est la gardienne de la Constitution et des lois organiques. C’est elle qui veille à ce que ces textes fondamentaux soient respectés. Par conséquent, si une loi organique comme celle sur les anciens présidents est violée, c’est logiquement à la Cour Constitutionnelle de se prononcer sur cette violation.
Troisièmement, même si les faits reprochés, la complicité avec un groupe armé, peuvent avoir une nature pénale ou militaire, la qualité de l’accusé qui est un ancien Président et la nature de la loi violée qui est une loi organique définissant son statut post-présidentiel priment. La Haute Cour Militaire juge des infractions commises par des militaires ou relevant du Code Pénal Militaire, à ce titre elle n’a pas vocation à interpréter ou sanctionner des manquements à des lois organiques qui régissent le statut d’une institution constitutionnelle, même si ces manquements se traduisent par des actes à caractère militaire. Enfin et quatrièmement labsence de mention spécifique dans la loi de 2018 est déterminante, car elle ne désigne pas la Haute Cour Militaire comme juridiction compétente pour juger les violations de ses articles. Or, le principe est que la compétence des tribunaux militaires est d’attribution, elle doit être expressément prévue par la loi. En l’absence de cette mention, et compte tenu de la nature constitutionnelle du statut dancien Président, qui découle de lInstitution Président de la République, la Cour Constitutionnelle est la juridiction naturelle de lancien Président Joseph Kabila pour la violation de la loi de 2018.
La Cour constitutionnelle jugera Kabila
Démonstration faite de lincompétence de la Haute Cour Militaire, la Cour Constitutionnelle apparaît comme la juridiction appropriée pour juger lancien Président Joseph Kabila. La loi de 2018 a créé un statut spécial pour les anciens présidents, intrinsèquement lié à leur ancienne fonction. La violation des articles 4 et 5 concerne directement leur devoir constitutionnel, même après la fin de leur mandat. En tant que gardienne de la Constitution et des lois organiques, la Cour Constitutionnelle est idéalement placée pour statuer sur de telles infractions. Dans laffaire Matata Ponyo, elle a étendu sa compétence aux questions liées au statut des dirigeants, et bien que la Constitution ne mentionne pas explicitement sa compétence pour juger les anciens présidents, la nature organique de loi de 2018 permet daffirmer quelle prendra ses responsabilités pour juger Joseph Kabila.
Le procès de Joseph Kabila permettra sans nul doute de préciser la responsabilité pénale des anciens présidents après leur mandat.
Léon ENGULU III
Philosophe
Ancien Coordonnateur a.i du
Mécanisme National de Suivi,
chargé de la préparation des réformes en RD Congo
