LA DIASPORA AFRICAINE : Comment rendre davantage profitable la manne économique de la diaspora congolaise ?

0
169

1. FORCE NON NEGLIGEABLE !

La diaspora et les migrants africains aident leurs proches depuis des années, comme l’illustre l’ampleur des fonds qu’ils envoient chaque année dans leur pays d’origine.

Au-delà des transferts d’argent, leur contribution pourrait avoir un impact non négligeable sur le développement.Selon la Banque mondiale, l’épargne de la diaspora, qui s’élève à 53 milliards de dollars par an, est supérieure aux envois de fonds annuels vers le continent et est principalement investie ailleurs. « Si l’on pouvait convaincre un membre de la diaspora sur dix d’investir 1 000 dollars dans son pays d’origine, l’Afrique collecterait ainsi 3 milliards de dollars par an pour financer le développement », ont écrit Dilip Ratha et Sonia Plaza dans le rapport 2011 de la Banque mondiale, intitulé « La diaspora pour le développement en Afrique ». (1)

Selon l’African Institute of Remittances (AIR), les transferts de fonds de la diaspora africaine ont atteint 65 milliards de dollars en 2017, soit plus du double de l’aide publique au développement des bailleurs de l’Afrique, qui était de 29 milliards. Il s’agit d’une hausse de 36 % en moins de dix ans, selon le Fonds international de développement agricole (FIDA). Le continent occupe la 3e place en termes de montants reçus, derrière l’Asie-Pacifique et l’Amérique latine. Les deux tiers des fonds mobilisés par la diaspora servent d’abord de filet de sécurité social et pallient les besoins de financement de la vie courante.

Dans ce système, Western Union et MoneyGram représentent les deux tiers des points de transfert d’argent sur le continent, position dominante qui peut expliquer les commissions pratiquées : entre 10 et 15 % du montant envoyé, contre une moyenne mondiale à 7,8 %. Des taux qui « font perdre » chaque année au continent près de 1,6 milliard d’euros, de quoi financer l’éducation dans 14 millions d’écoles primaires, d’après l’ONG Overseas Development Institute (ODI).

La Banque mondiale dans ses objectifs de développement durable (ODD) ainsi que le G8 ont plusieurs fois exprimé leur désir de ramener ces commissions à 5 %, mais, faute de mesures incitatives ou coercitives, ils n’ont pas été écoutés. (4)

2. MOBILISATION ET EMPLOI DE L’ÉPARGNE DES MIGRANTS

Selon l’étude intitulée « La valorisation économique de l’épargne des migrants »(7), le revenu des immigrés a deux emplois possibles : la consommation dans le pays d’accueil et l’épargne brute. L’épargne brute est composée de l’épargne dans le pays d’accueil et les transferts vers le pays d’origine. Ces transferts sont donc comptabilisés dans les statistiques du pays d’accueil comme une épargne brute même si cette forme d’épargne correspond le parfois à une consommation différée dans l’espace, celle de la famille ou des parents restés au pays d’origine.

L’épargne du pays d’accueil est destinée à plusieurs usages : remboursements de dettes, investissement dans un réseau social de solidarité (cotisations dans une tontine ou une association de migrants) et investissement sur place (placements financiers ou création De petites activités).

Les transferts vers le pays d’origine sont également destinés à plusieurs usages : consommation dans le pays d’origine (soutien des familles) et investissement futur (immobilier ou activités économiques).

3. LA DIASPORA CONGOLAISE RESTE IGNOREE MALGRE TOUT (2)

Selon le magazine des Nations Unies «Afrique renouveau», les transferts de fonds réalisés par les nationaux résidant hors des frontières congolaises ont atteint un montant record de 9 milliards de dollars US sur l’année 2011.

Composée de 2 à 7 millions d’individus, établis le plus souvent en Belgique, en France, en Angleterre, aux Pays-Bas, aux États-Unis ou au Canada, la diaspora congolaise constitue, selon toute vraisemblance, la diaspora la plus importante du continent africain.

D’après une étude réalisée par la Banque mondiale, ces sommes d’argent auraient permis de financer la scolarisation de quatre enfants congolais sur dix et la construction de plus de la moitié des infrastructures locales. Il apparait clairement que, de par le nombre d’individus dont elle est composée et de par ses moyens financiers, la diaspora congolaise pourrait générer des investissements égaux ou supérieurs à ceux émanant des investisseurs étrangers, malheureusement, le Gouvernement de la RDC ne se penche pas encore suffisamment sur la question.

4. EFFORTS INSUFFISANTS DE CANALISATION DES FONDS DE LA DIASPORA DE LA PART DES GOUVERNEMENTS 

Malgré tous les efforts de la diaspora, peu de gouvernements africains, y compris celui de la RDC, sont parvenus à faire participer avec succès les expatriés aux efforts de réduction de la pauvreté et de développement.

Selon une note d’orientation de l’Institut des politiques de migration (MPI), un groupe de réflexion américain étudiant les mouvements de population à travers le monde, les gouvernements devraient prendre davantage d’initiatives s’ils veulent tirer des bénéfices concrets de leur diaspora.

Selon Kathleen Newland, spécialiste des migrations et du développement du MPI, les gouvernements africains doivent s’informer davantage sur les membres de leur diaspora et créer des liens plus solides avec eux afin de mettre en place des politiques plus cohérentes pour susciter leur intérêt, plutôt que de les traiter soit comme des étrangers, soit comme des habitants du pays.

5. LES TROIS TYPES D’APPROCHES SUR LA QUESTION DES TRANSFERTS DE FONDS ET DE LA MOBILISATION DE CES RESSOURCES (3)

La Banque africaine de développement (BAD) accorde une haute priorité à la promotion des envois de fonds effectués par les travailleurs migrants et à leur impact sur le développement en Afrique. Pour cela, cette dernière a diligentée diverses études qui indiquent que les transferts de fonds des migrants prennent une importance croissante dans les économies des pays à forte migration.

Cependant, malgré leur poids, les flux financiers générés en direction des pays africains demeurent mal connus. De nombreuses zones d’ombres quant à la structure du marché ou à l’utilisation de ces ressources subsistent.

Par ailleurs, la question des transferts de fonds et de la mobilisation de ces ressources fait l’objet de trois types d’approche :

– primo : L’approche « anglo-saxonne » qui considère que l’essentiel de l’action doit porter sur la fluidification de l’offre de services. Pour ce faire, il convient de stimuler la concurrence par une réglementation souple, la diffusion d’informations sur les prestations des opérateurs à la clientèle et la diversificationdes modes de transferts rapides (par innovations technologiques notamment). Elle repose sur le postulat que la réduction des coûts et la levée des obstacles à la libre concurrence permettrait d’augmenter le volume global des fonds utilisables par les bénéficiaires, et d’inciter les opérateurs à plus de performances et d’innovations vis-à-vis de la clientèle.
Cette stratégie permet aussi de réduire très fortement la part des transferts informels en améliorant sensiblement le rapport qualité / prix des transferts formels. Adoptée récemment par l’Italie, cette stratégie a permis de résorber de plus de 30 % la part de l’informel au départ de ce pays et de réduire de moitié le coût des Sociétés de Transfert d’Argent (STA).

Les pouvoirs publics jouent dans ce cas un rôle de facilitateur du libre marché en assouplissant les contraintes réglementaires à la légalisation pour des opérateurs extra bancaires, et en incitant financièrement les opérateurs à innover et à se regrouper pour les plus spécialisés (appels à propositions ciblés, financement de pilotes autour de la problématique des envois de fonds).

Cette approche a permis l’émergence d’opérateurs majeurs du secteur (Western Union et Money Gram) qui ont eu l’intelligence de se positionner sur un plan industriel en maillons complémentaires du circuit financier bancaire traditionnel. Elle a aussi donnée naissance plus récemment à des expériences très prometteuses utilisant la technologie de Mobile-Banking associant des opérateurs de téléphonie telle que Vodaphone et MTN au secteur bancaire.

– Secundo : L’approche « hispanique » , prévalant dans les pays d’Amérique Latine et adoptée par le Maroc qui privilégie une stratégie de bancarisation des migrants afin de capter les ressources consacrée s à l’épargne. Les migrants se voient proposer une vaste gamme de produits bancaires spécifiques à leurs besoins et les transferts deviennent alors un produit d’appel à coût très bas.

La logique qui prévaut consiste à proposer aux migrants un panel de prestations bancaires utilisables dans le pays d’origine comme dans le pays d’accueil, aux mêmes conditions que sur le marché du pays d’accueil, et sur des thématiques spécifiques qui intéressent cette catégorie de population (principalement le logement, les compléments aux retraites, les assurances santé et les rapatriements des corps en cas de décès). La politique consiste à prélever des commissions aussi faibles que possible sur les transferts vers l’étranger, devenant alors un produit d’appel, parfois à perte, afin de drainer cette clientèle et de l’inciter à épargner.

Dans ce cas, les pouvoirs publics des deux côtés du corridor facilitent l’implantation des banques du pays récepteur dans le pays expéditeur (les migrants semblent toujours plus attachés aux institutions et entreprises issus de leur pays d’origine lorsque les services sont performants) ; une action plus directive vis-à-vis des institutions financières proches de l’Etat pourrait être envisagée.

– Tertio : Enfin, l’approche « francophone » qui tente davantage de canaliser les ressources des migrants vers des investissements collectifs dans les infrastructures de santé et d’éducation ou dans des projets productifs entrant dans le cadre de programmes de co-développement.La troisième approche a prévalu dans les pays francophones. Elle a consisté à mettre davantage l’accent sur l’utilisation des fonds dans le cadre de cofinancement de projets s’inscrivant dans une problématique de co-développement.

Cela consiste à inciter les migrants et les bénéficiaires à utiliser une partie des fonds pour réaliser des investissements communautaires ou productifs en bénéficiant de cofinancement sous forme de subventions publiques (parfois assorties de conditions de retour dans les pays d’origine). Le dispositif a été longuement mis au point au Mali, dans la région de Kayes, dès le début des années 70 par des ONG spécialisées. L’étude montre que cette démarche a eu un impact significatif sur la durée.

Cependant le résultat est plus mitigé pour ce qui concerne l’efficacité de l’investissement productif et la création d’entreprises. Dans les cas où cette approche est à privilégier, les deux secteurs d’intervention prioritaires du co-développement (si l’on se réfère aux besoins mesurés par le nombre de familles concernées) devraient être la santé et l’éducation. Ces deux postes concernent entre 30 et 95 % des populations de bénéficiaires selon les corridors. Plus l’indice de développement humain du pays de départ est bas, plus ces secteurs absorbent une part significative de l’effort des migrants au détriment de l’épargne.

6. AUTRE ASPECT A CONSIDERER : COMMENT TIRER PROFIT DE L’EPARGNE THESAURISEE

En plus des fonds envoyés, il existe un second marché, celui de l’épargne non envoyée. Pour la transformer en actif mobilisé pour le continent, les entreprises comme les États cherchent à proposer des produits ou services porteurs de rendement. Cette stratégie gagnant-gagnant dynamiserait, in fine, la création de richesses et d’emplois en Afrique. La capacité des opérateurs privés comme publics à favoriser la rencontre entre outils financiers adaptés et projets structurés constitue l’un des principaux leviers de captation de l’épargne de la diaspora.

Ainsi, de nouveaux services se développent, notamment dans l’assurance (rapatriement de corps, capital funérailles, sécurisation des retraites) ou encore l’immobilier.

7. RECOMMANDATIONS

Partant de ce qui précède, nous formulons au Gouvernement de la République Démocratique du Congo (RDC) les recommandations suivantes :

– Recommandation No 1 : Améliorer la disponibilité des informations et assister les différents acteurs travaillant dans le domaine des transferts de fonds : Cette composante permet d’améliorer les connaissances afin de concevoir des activités ciblées et promouvoir la concurrence par une meilleure information des parties prenantes. Elle implique la cartographie des transferts de fonds et la diffusion de l’information.

– Recommandation No 2 : Aider à la réforme des cadres réglementaires : En modernisant les cadres réglementaires et les opérateurs, ce volet vise à renforcer les marchés financiers au profit des migrants et des bénéficiaires.

– Recommandation No 3 : Développement de nouveaux produits financiers : Développer et tester de nouveaux produits financiers qui répondent mieux aux besoins et aux capacités des migrants et des bénéficiaires. Dans ce cas, l’un des objectifs principaux de cette composante serait de promouvoir l’engagement des intermédiaires financiers par le biais de cofinancements ou d’autres formes de soutien pour le développement de produits financier.

– Recommandation No 4 : Promotion de l’investissement productif : Cette composante vise à soutenir les migrants dans la création de PME et à promouvoir la création de fonds d’investissement et de participation pour faire émerger des projets de PME innovants impliquant les migrants et des entrepreneurs locaux.

– Recommandation No 5 : Promotion du développement local : Cette composante cherche à promouvoir des projets qui mutualisent les coûts de soins de santé ainsi qu’à financer des projets d’infrastructure dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la petite hydroélectricité et de l’énergie renouvelable. (6)

8. CONCLUSION

Les transferts de fonds des migrants, malgré leur importance croissante, ne viennent pas se substituer à l’aide publique au développement ou aux investissements directs étrangers pour soutenir la croissance des pays bénéficiaires. La problématique est plus complexe, en effet cette manne considérable, et qui doit être réévaluée à la hausse pour de nombreux pays en raison d’une importante sous-estimation des flux informels, constitue avant tout soit une aide sociale directe à des familles proches des seuils de pauvreté, soit un projet d’investissement ou de spéculation immobilier, soit enfin dans une moindre mesure un projet d’entreprise pour le migrant ou sa famille.

Le développement des trois types d’approches sur la question des transferts de fonds et de la mobilisation des ressources de la diaspora tel que nous l’avons présenté au point 5 ci-haut nous a permis de comprendre les différentes réflexions à la portée des pouvoirs publics qui existent sur cette question épineuse et d’intérêt public après avoir fait un tour d’horizon sur la problématique du transfert des fonds des migrants ; ce qui nous a permis de chuter par formuler quelques recommandations au Gouvernement de la RDC.

Comment rendre davantage profitable la manne économique de la diaspora congolaise ?

Tel est la question à laquelle nous nous sommes proposé de réfléchir à travers cette tribune.

Partant du constat que 2 à 7 millions de congolais de l’étranger transfèrent plus de 9 milliards de dollars par an, on comprend aisément que la question des transferts de fonds des migrants congolais mérite une attention particulière à la fois de la communauté scientifique que des dirigeants.

Pour notre part, nous conseillerons au Gouvernement de la RDC de tenter de développer l’approche hispanique, à l’instar du Maroc, car cette dernière pourrait soutenir le processus de développement du système bancaire congolais voire des marchés financiers en RDC sans lesquels il sera difficile d’imprimer un certain dynamisme à notre économie.

Néanmoins, pour créer une « approche congolaise » de la question des fonds de la diaspora, une réflexion holistique visant la combinaison des trois approches développées ci-haut serait recommandée.

Par ailleurs, dans une publication de la Banque Africaine de Développement (BAD) intitulée « Les transferts des fonds des migrants, un enjeu de développement », une étude du Profil démographique des migrants a été menée et parmi l’ensemble des variables explicatives des différences de comportement et de stratégies, deux se dégagent nettement : « l’âge et le statut socioprofessionnel ». Selon cette étude, ces deux variables sont fortement corrélées aux niveaux des transferts et aux modalités de leur utilisation. Il apparaît que les montants transférés sont relativement stables sur les tranches d’âge de 25 à 40 ans, puis augmentent au-delà de 40 ans (médiane comprise entre 39 et 45 ans selon les pays) en valeur absolue annuelle, ce qui s’explique d’une part par l’augmentation des revenus au fil de l’âge, mais aussi et surtout par le fait qu’au-delà de 40 ans, les migrants investissent d’avantage dans l’immobilier dans leur pays d’origine.

Enfin, nous espérons que ses quelques paragraphes auront le mérite de susciter l’intérêt des chercheurs congolais et des pouvoirs publics afin d’approfondir la réflexion sur la profitabilité de cette manne économique provenant de la diaspora congolaise avec pour finalité de déboucher vers des actions concrètes de développement.

Patrick T. ONOYA
Enseignant et Chercheur en Finance et Technologie (FinTech)

Références

1. https://www.un.org/africarenewal/fr/derni%C3%A8re-heure/les-transferts-dargent-de-la-diaspora-une-source-de-d%C3%A9veloppement

2. https://www.financialafrik.com/2015/12/22/la-diaspora-congolaise-genere-la-moitie-du-pib-du-pays-mais-reste-ignoree/

3. Les transferts des fonds des migrants, Un enjeu de développement, Banque africaine de développement, Tunis, 2012

4. https://www.lepoint.fr/economie/comment-mobiliser-la-manne-economique-de-la-diaspora -africaine -08-02-2019-2292262_28.php#11

5. https://journals.openedition.org/aspd/195#tocto1n2

6. https://www.afdb.org/fr/topics-and-sectors/initiatives-partnerships/migration-and-development-initiative/migration-and-development-trust-fund

7. https://pfongue.org/IMG/pdf/cfsi_valorisation_economique_epargne_migrants.pdf