Investissements: La Chine plus costaude que les États-Unis en RDC

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Partenaires depuis bientôt cinquante ans, la République Démocratique du Congo et la Chine entretiennent de bons rapports dans le domaine de la coopération. Première destination des investissements chinois en Afrique, la RDC peut compter sur le soutien de Pékin pour obtenir la levée de l’embargo sur son l’achat des armes. La Chine s’est exprimée dans ce sens au Conseil de sécurité des Nations Unies. Pour Georges O. Lohalo, Docteur en Relations Internationales de Central China Normal University, le Président Félix Tshisekedi a bien compris le rôle de la Chine, raison pour laquelle il implique différents acteurs pour la résolution à la crise sécuritaire dans l’est de son pays.

Au cours d’une interview accordée à la presse, il a analysé la condamnation par le représentant permanent adjoint chinois auprès de l’ONU, en début de ce mois d’octobre 2022, l’escalade de la violence dans la partie Est de la RDC.

Passant en revue la coopération bilatérale entre la Chine et la RDC depuis les années 60 à ce jour, ce chercheur en relations sino- américaines, Sino-congolaises et la stabilité et l’instabilité en Afrique du Milieu, soutient que le Président Félix Tshisekedi a compris que, par rapport à la guerre dans l’Est de son pays, il fallait impliquer les acteurs locaux, les acteurs clés dans la région depuis bientôt 30 ans, mais aussi tous les acteurs historiques clés, notamment la Chine, qui a toujours été aux côtés de la République Démocratique du Congo.

Pour rappel, intervenant à l’occasion de l’examen du dernier rapport du Secrétaire Général des Nations Unies sur la situation en République Démocratique du Congo, le représentant permanent adjoint chinois auprès de l’ONU, Dai Bing, a condamné, au nom de son pays, les violences dans la partie Est de la RDC. Il a exprimé l’appui de la Chine au gouvernement congolais et exhorté les groupes armés qui sèment la désolation dans l’est du pays à déposer immédiatement les armes et à respecter les appels à la paix.

Dai Bing a laissé entendre que le Conseil de sécurité devrait répondre positivement à la demande du gouvernement congolais de lever l’embargo sur les armes.

Pour le Docteur Georges O. Lohalo, « le soutien chinois offre au gouvernement congolais une opportunité de continuer les discussions parce qu’il a désormais un soutien de taille .»

Avec les chiffres du volume des investissements chinois et américains en RDC en appui, il affirme que « même si la Chine offre plus d’opportunités à la RDC que ne lui en offrent les États-Unis, il ne faut pas opposer les deux pays ».

Georges O. Lohalo insiste sur le fait que le gouvernement congolais ne peut pas opposer le sécurité à l’économie.

« Moi personnellement, a-t-il expliqué, je propose au gouvernement congolais d’appliquer la philosophie du pragmatisme ». Cette philosophie consiste dans son entendement, pour la RDC, à mener « une politique étrangère pragmatique, être capable de travailler avec les américains pour les aspects sécuritaire, mais en même temps travailler avec les Chinois pour les aspects économiques, infrastructureles et sociaux, sans oublier les aspects légaux, qui intéressent plus les Européens ».

Georges O. Lohalo est Docteur en Relations Internationales de Central China Normal University. Il étudie le système international post guerre froide, la compétition sino-americaine, les relations sino-congolaises et la stabilité et l’instabilité en Afrique du Milieu. Il est auteur de plusieurs articles scientifiques et opinions dont « Pourquoi le Président Félix Tshisekedi devrait visiter la Chine ».

Lire l’intégralité de l’interview.

Après la 77 ème Assemblée générale des Nations Unies où Félix Tshisekedi, Chef de l’Etat congolais, a dénoncé l’agression de son pays par le Rwanda, la Chine a exprimé son appui au gouvernement congolais et exhorté les groupes armés à déposer immédiatement les armes. Que vous inspire cette position de la Chine ?

Georges O. Lohalo: La déclaration chinoise du soutien au gouvernement congolais m’inspire cohérence à deux niveaux. D’abord, par rapport à la logique même de la politique étrangère chinoise. La Chine a toujours soutenu l’intégrité territoriale parce que elle est toujours confrontée à ce soucis là dans son environnement immédiat. Vous savez, elle-même veut, jusqu’aujourd’hui, récupérer Taiwan, insiste sur la non autonomie de Tibey ainsi que la toute la question autour de la mère de Chine qu’elle partage avec d’autres pays, notamment le Vietnam, Viêtnam, Philippines et un peu plus haut le Japon. Donc, la Chine en affirmant soutenir le Congo, elle réaffirme sa rhétorique en politique étrangère et principe diplomatique.

En second lieu, elle a réaffirme qu’elle est le partenaire privilégié de la RDC. Depuis dix ans, et même un peu avant, autour du contrat Sino-congolais, il s’est formé une symbiose entre le gouvernement congolais et le gouvernement chinois en termes de soutien mutuel dans les organisations internationales. Depuis ces années là, le gouvernement congolais a toujours voté pour la Chine dans les institutions internationales, a toujours soutenu la Chine et la Chine le fait réciproquement.

D’ailleurs, le gouvernement chinois a beaucoup d’investissements ici, et la Chine ne voudra pas voir le Congo exploser. Sinon, ça sera comme le cas de la Libye où la Chine a perdu un peu plus de 20 milliards d’investissements quand Khadafi est parti.

La Chine a demandé au Conseil de sécurité des Nations Unies de lever l’embargo sur l’achat des armes par la RDC. Pensez-vous que la Chine serait prête à aller à l’encontre de cet embargo au cas où il n’était pas levé comme elle le souhaite ?
Je ne pense pas que la Chine agirait à l’encontre de l’embargo pour la simple raison que ça tient au fonctionnement même du Conseil de sécurité des Nations Unies. Tous les pays membres permanents ont le droit de veto, il suffit qu’un pays oppose le droit de veto pour qu’une résolution ne puisse pas passer. Vous avez vu quand la Russie a, comme les occidentaux le disent, annexé des territoires ukrainiens, en commençant par la Crimée quelques années plus tôt et aujourd’hui, les quatre régions, quand la Russie s’était opposée au Conseil de sécurité, la résolution n’a pas passé. La Chine n’irait pas à l’encontre de la logique de l’embargo s’il n’y a pas une autre résolution normalement approuvée par tous les cinq membres du Conseil de sécurité des Nations Unies. Néanmoins, parce que l’embargo est issue d’une résolution de 2008 qui a pour objectif ou finalité de limiter les armes dans cette région en crise, pour éviter l’embrasement, parce que la logique était qu’à l’époque, la plupart d’armes qui venaient pour le gouvernement congolais se retrouvaient entre les mains de groupes armés. Parce que certains généraux se compromettaient et vendaient des armes, tous les rapports des Nations Unies en la matière, notamment le rapport Mapping, l’avaient déclaré. C’est pour cela que les Nations Unies avaient limité à la RDC d’acquérir les armes. C’était sur base d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies. Alors, aujourd’hui, pour se faire, il faut une autre résolution. Toutefois, le soutien chinois offre au gouvernement congolais une opportunité de continuer les discussions parce qu’il a maintenant un soutien de taille. Donc, un membre du Conseil de sécurité des Nations Unies soutient sa démarche, sa demande, ça prouve que quelque part la demande congolaise est sérieuse, et capitale pour sa sécurité, son intégrité territoriale et sa souveraineté parce que le Congo doit faire face à des rebelles qui énervent sa souveraineté dans l’est depuis maintenant plus de 25 ans. Le Congo va profiter de cette posture chinoise, pour continuer la diplomatie, pourquoi pas approcher d’autres membres du Conseil de sécurité des Nations Unies pour obtenir leur soutien pour qu’à la prochaine rencontre, que eux tous approuvent le projet de lever l’embargo, ce qui serait un avantage pour le gouvernement congolais.

Ça fait quatre ans que les États-Unis déclarent leur amour à la RDC avec sur le terrain, pas de résultats à la hauteur de cet amour. La RDC doit-t-elle garder la Chine comme son partenaire phare, notamment dans le domaine des infrastructures ?
Je ne sais pas ce que vous entendez par «déclarer son amour pour la RDC». Ce que je sais est que la situation que traverse la RDC aujourd’hui ou depuis les années 90 fait qu’elle ait besoin des États-Unis, besoin de la Chine, besoin de tous les partenaires qui peuvent apporter quelque chose pour: pour mettre fin à l’instabilité dans l’est(i); revigorer son économie (ii); construire les routes(iii); que le Congo reprenne sa vocation naturelle d’Etat puissant au cœur de l’Afrique comme le disait Franck Fanon: «l’Afrique a la forme d’un revolver dont la gâchette se trouve au Congo». Ça veut dire que par rapport à la guerre à l’Est, le Président Félix Tshisekedi a compris qu’il fallait impliquer tous les acteurs clés dans cette région depuis bientôt 30 ans pour que cesse cette guerre. Parmi ses promesses phares qu’il a données au congolais avant d’accéder au pouvoir, il y a celle de mettre fin à la guerre de l’est. Il est arrivé au pouvoir, vous avez vu qu’il a décrété l’état de siège, beaucoup d’opérations militaires sont menées et, il a compris aussi qu’il faut impliquer non seulement les acteurs locaux (les congolais du pays), les acteurs régionaux (ce qu’il fait avec les pays voisins et de la région) mais aussi tous les acteurs historiques clés qui ont toujours un rôle dans cette région. Vous vous rappelez que M’zée Kabila et l’AFDL avaient été soutenus par les États-Unis et plusieurs multinationales proches du gouvernement américain de l’époque…Le gouvernement congolais ne peut pas opposer la sécurité à l’économie. Moi personnellement, je propose au gouvernement congolais d’appliquer la philosophie du pragmatisme. C’est-à-dire que se positionner en acteur et ainsi tirer profit de toutes les opportunités pour solutionner ce problème. Ce qu’il faut au Congo aujourd’hui, c’est une politique étrangère pragmatique, être capable de travailler avec les américains pour les aspects sécuritaires, mais en même temps travailler avec les chinois pour les aspects économiques, Infrastructurels et sociaux, sans oublier les aspects les aspects légaux qui intéressent plus les européens. Et là, être dans les normes. Donc, le Congo doit être capable d’appliquer une politique étrangère pragmatique. Il faut une stabilité politique. C’est très important pour ce faire, que les institutions soient toujours stables et qu’il y ait régulièrement des élections. Ça rassure tout le monde, c’est une démocratie et les congolais vont eux-mêmes croire aux institutions. Ne faut pas tomber dans le piège de choisir un camp. Mobutu l’avait fait entre 1965 et 1990, résultat : l’Union Soviétique n’a jamais été l’ennemi du Congo, pourquoi étions-nous pro américains ou pro occidentaux pour délaisser le camp de l’est ? Aujourd’hui, les gens ont compris avec les nouvelles donnes comme le climat…

Qu’est-ce que la Chine offre à la RDC que les États-Unis ne peuvent pas lui offrir ?
La Chine offre beaucoup d’opportunités aujourd’hui à la RDC que les États-Unis n’offrent pas, notamment les investissements. Aujourd’hui au Congo, je pense que le premier investisseur c’est la Chine, que ce soit le gouvernement chinois, les entreprises Étatiques chinoises ou les privés chinois. D’ailleurs, en pleine COVID-19 en 2021, le Congo est devenu la première destination des investisseurs chinois en Afrique. Ce qui veut dire que ça c’est quand même un domaine que la Chine offre que l’Amérique n’offre pas. Parce qu’il y a peu d’investissements chinois ici.

La Chine offre aussi le commerce. Cette année, nous sommes à près de 300 millions d’échanges économiques entre la RDC et la Chine. Et si vous reculez il y a 30 ans, en 1991, il y avait moins de 500 mille USD d’échanges économiques entre les deux pays. Autour des années 2000, les États-Unis comptaient en volume d’échanges ici en RDC, autour de 18 % mais vers 2010, l’Amérique ne compte que 1,5% d’échanges économiques avec le pays, à moins que je me trompe. Donc, l’aspect économique, l’aspect du commerce, l’aspect d’investissements dans tous les domaines (Télécommunications, Mines, Agriculture, services) la Chine investit énormément au Congo. Et quand on dit investissements, il faut comprendre investissements et aide, parce qu’en 2010, la Chine a aidé le gouvernement congolais avec 35 millions USD par exemple, pour connecter le Congo à la fibre optique de l’océan Atlantique à Kinshasa en passant par Moanda et vous connaissez le méga investissement qu’est la Sicomines, pour lequel la Chine avait prévu au départ de donner 9 milliards de dollars dont 6 milliards serviraient à la reconstruction des différentes infrastructures ( routes, hôpitaux, écoles etc) et 3 milliards pour le projet minier. Mais après discussions, le projet a été rebattu à 6 milliards dont 3 pour les infrastructures et 3 autres milliards pour le projet minier. Mais il y a eu aussi plus de 20 millions USD d’aide à la Gécamines pour que celle-ci ait les capacités de travailler avec la Sicomines. Donc, au-delà de ces trois aspects évoqués, il y a aussi les échanges culturels entre la Chine et le Congo. Chaque année, la Chine offre plus de 50 bourses de façon régulière et c’est dans tous les domaines d’études. Il y a aussi l’Institut Confucius qui s’est installé ici au Congo, qui venait de fêter ses quatre ans. Donc, il y a plus de 500 jeunes congolais qui sont passés par là pour apprendre la langue chinoise. Beaucoup de chinois viennent non seulement pour investir, mais aussi pour visiter le Congo.

Même si la Chine offre plus d’opportunités aussi au Congo que les États-Unis, il ne faut pas opposer les deux pays. Ils sont capables de travailler ensemble, de coopérer ensemble pour développer le Congo. Ils le font dans beaucoup de domaines. Teke Fungurume est passé des mains des américains aux mains des Chinois. Ils ont fait le deal sans même informer le gouvernement congolais. Ils coopèrent pour protéger le bassin du Congo en termes de réchauffement climatique. Ils coopèrent dans le sens de protéger la biodiversité et l’environnement en général. Ils coopèrent aussi pour que le Congo ait des capacités autonomes intéressantes pour lutter contre les pandémies. Vous avez vu les soutiens simultanés des américains et des Chinois quand il y avait Ebola ici mais aussi en pleine COVID-19. Ils ne s’opposent pas sur tous les aspects ici au Congo. Donc, ça sera inutile de les opposer.

Comment envisagez-vous les perspectives de la Coopération Sino-congolaise dans les prochaines années ?
Ce que je pense de l’avenir de la coopération Sino-congolaise dans cinq ou dix ans, c’est qu’il dépend de ce que nous congolais voulons. Nous coopérons avec la Chine depuis les années 60. Vous vous rappelez que quand Lumumba gagne les élections en 1960, le Premier ministre chinois lui avait envoyé une lettre pour le féliciter, ce qui est une pratique diplomatique, une reconnaissance internationale du gouvernement chinois au gouvernement congolais de l’époque.

Il y a eu la crise politique des années 60, les pro Lumumba sont allés à Kisangani, et la Chine avait tenté d’ouvrir une ambassade à Kisangani, qui était une République autonome dirigée par Gizenga, qui attendait Lumumba mais Lumumba n’étant pas arrivé car arrêté en cours de route. En 1962, quand il y a eu concertations nationales et que Gizenga devait retourner ici à Kinshasa pour participer au gouvernement que ce gouvernement avait pris la décision de reconnaître Taïwan qui était une République autonome à l’époque, soutenu par les États Unies, la République Populaire de Chine a retiré son projet de création d’une ambassade à Kisangani et s’est écartée du gouvernement congolais pour soutenir les rebelles, notamment les Mulele et tous ceux qui étaient à l’époque comme pro Lumumbistes… En 1972, après que le contexte international ait changé, parce qu’il y a rapprochement entre la République Populaire de Chine et les États-Unis, déjà la Chine a remplacé Taiwan comme membre du Conseil de sécurité des Nations Unies, Mobutu n’avait plus de choix que de reconnaître la République Populaire de Chine parce que le principe édicté à l’époque était d’une seule Chine…En novembre de cette année 2022, nous fêterons les 50 ans des relations Sino-congolaises. Cela veut dire qu’en 50 ans, nous devons tirer les leçons de l’histoire. Comment nous avons vécu avec la Chine? Comment a été notre coopération avec la Chine? C’est une belle coopération qui s’est développée autour des années 70 avant le déclin de l’État Zaïrois dans les années 90, ce qui a conduit à la régression de la plupart des partenaires Zaïrois, beaucoup de partenaires s’étant retirés du Zaïre, parce qu’il y avait…Cette coopération a repris avec l’entrée de l’AFDL parce que quand M’zée Kabila a pris le pouvoir, le premier pays qu’il a visité c’était la Chine. Après son assassinat, Joseph Kabila qui avait étudié en Chine a repris petit à petit la coopération Sino-congolaise parce qu’il n’avait pas d’autres choix que de se tourner vers la Chine parce que: le pays est en guerre (i); endetté autour de 14 milliards USD sous Mobutu(ii); le pays est totalement dévasté et sans argent (iii); le projet de reconstruction qu’il avait, les partenaires techniques et financiers n’avaient pas d’argent pour le financer (iv) et Kabila s’est rendu compte que tout ce qui est acheté au Congo que ce soit par les américains ou les européens étaient exportés vers la Chine. Il décida en ce moment là de se rapprocher de Pékin pour financer l’ambitieux projet qu’il avait à l’époque, à savoir les cinq chantiers.

Propos recueillis par Junior Lomanga