Le 15 janvier 2011 le parlement congolais adoptait une révision de l’article 71 de la constitution, entérinant le passage du scrutin majoritaire à deux tours au scrutin uninominal majoritaire à un tour, dans lequel le candidat qui recueille le plus de voix remporte les élections. Cette révision faite à l’initiative de Joseph Kabila, si elle lui assurait une facile réélection alors qu’il contrôlait l’appareil de l’Etat, préparait déjà, au terme de son deuxième et dernier mandat, la défaite inéluctable du candidat de sa majorité parlementaire Emmanuel Ramazani Shadary.
Le 22 mai dernier la publication par la CENI des statistiques des électeurs par province ramène au premier plan une problématique sur laquelle j’ai eu à échanger avec la Direction du Cabinet de Joseph Kabila en 2010. Au cours de cette réunion à laquelle je participais en qualité de communicateur de la majorité présidentielle, j’attirais l’attention de Gustave Beya Siku, Directeur de Cabinet, et de ses deux adjoins Louise Mayuma et Henri Yav sur les dangers futurs du scrutin à un tour pour la présidentielle.
Mon argument le plus simple était que si vous devez voter pour l’implantation d’un hôpital entre deux villages dont l’un est plus peuplé que l’autre, l’hôpital sera implanté là où il y a le plus d’électeurs. Pour que l’hôpital en question soit implanté au bon endroit, il faut introduire d’autres critères, dont l’accessibilité et la disponibilité du personnel technique notamment.
Le scrutin uninominal majoritaire à un tour me permet d’introduire la notion d’assiette de départ qui vise à clarifier les critères de désignation des candidats par les partis et les rassemblements politiques pour ce type de scrutin présidentiel. Cette question est d’une importance fondamentale pour la préparation des scrutins car la littérature électorale renseigne que le scrutin à un tour encourage le vote de proximité, le vote ethnique et le vote régional.
Aux présidentielles de 2018 il était évident que l’assiette de départ du candidat Emmanuel Ramazani Shadary, avec un peu plus d’un million d’électeur dans sa province d’origine le Maniema, était trop faible pour le conduire au Palais de la Nation. Le choix de la majorité présidentielle de l’époque était aussi étonnant qu’erroné pour ce type de scrutin dans lequel le candidat doit pouvoir compter sur une solide assiette de départ dans sa province ou sa région d’origine, et tenter ensuite de compléter son stock électoral dans les autres provinces où le report des voix s’effectue difficilement sur des non originaires si elles alignent elles-mêmes un candidat.
Les statistiques des électeurs par provinces publiées par la CENI indiquent que certaines provinces trop faiblement peuplées ne peuvent d’évidence aligner avec quelques chances de succès un candidat à la présidentielle, particulièrement le Bas-Uele (540.169 enrôlés), le Mai Ndombe (983.920), le Nord-Ubangi (785.999), la Tshuapa (834.028). Plusieurs provinces avec un peu plus d’un million d’enrôlés rencontrent le même obstacle (Equateur, Haut-Katanga, Haut-Uele, Maniema, Sud-Ubangi etc.).
L’analyse approfondie des statistiques électorales dans la perspective d’un scrutin présidentiel à un tour permet d’observer, au-delà du nombre d’enrôlés par province, des dynamiques de proximité ethniques et régionales. Il apparait ainsi qu’un candidat issu de l’ensemble régional kongophone peut compter sur une assiette de départ très importante, notamment à Kinshasa ou plus de la moitié de l’électorat est originaire de l’aire kongophone, soit au moins 2.500.000 millions d’enrôlés sur 5.062.991, le Kongo Central (2.148.989), le Kwango (1.226.433), le Kwilu (2.511.438) soit quelques 8.386.860 enrôlés potentiellement disponibles dans le secret de l’isoloir.
En creusant dans la même veine un candidat issu de l’espace culturel grand Kasaï peut compter sur une assiette de départ d’1.768.520 enrôlés pour le Kasaï, 1.807616 pour le Kasaï Central, et 1.266.768 pour le Kasaï Oriental soit un stock de proximité de 4.842.904 électeurs. Ce chiffre est moitié moins élevé que celui de l’ensemble régional Kongophone.
En poursuivant l’exercice on conclut que le grand Kivu propose également une assiette de départ intéressante à ses candidats, avec 3.028.907 enrôlés pour le Nord-Kivu, 2.873.618 pour le Sud-Kivu soit 5.902.525 d’électeurs potentiels. En ce qui concerne l’aire swahiliphone, elle est répartie principalement entre le grand Kivu et le grand Katanga, avec des sous-ensembles ethniques très homogènes et peu susceptibles de nouer entre eux des alliances électorales sur un tour de scrutin.
A côté de ces grands réservoirs d’électeurs certaines provinces peu peuplées sont versatiles, notamment le Maniema, le Sankuru ou encore les provinces issues du grand Equateur, dont le vote est peu utile sur un tour de scrutin en raison de l’éparpillement des voix entre le candidat perçu comme culturellement le plus proche et celui indiqué par les mots d’ordre des partis et rassemblements.
Le choix des candidats à l’élection présidentielle de 2023 doit être déterminé par une approximation précise de leurs assiettes électorales de départ afin de maximiser leurs chances de réussite. Les partis et rassemblements politiques doivent intégrer la notion que sur un tour de scrutin un candidat avec une assiette de départ trop faible doit fournir davantage d’efforts de mobilisation exogènes en dehors de sa province d’origine avec des chances de succès pratiquement nulles pour certaines provinces.
Dans ce scrutin à un tour où la proximité, l’ethnie et le sentiment régional guident le choix des électeurs plus que les projets de société les meilleurs candidats ne peuvent provenir que de l’ensemble régional kongophone, de l’espace Kasaï et dans une moindre mesure de l’aire swahiliphone plus disparate, l’unité linguistique de cette aire masquant de profondes différences culturelles entre les locuteurs du swahili.
Ces observations soulignent le caractère injuste et peu démocratique du scrutin à un tour à la majorité relative, où dans certaines conditions un candidat pourrait être élu en République démocratique du Congo avec les seules voix de son ensemble ethnico-régional d’origine.
Elles appellent la classe politique à une révision urgente de la constitution pour le rétablissement du vote majoritaire à deux tours, ou l’adoption d’alternatives telles que le vote préférentiel multiple qui présente de nombreux avantages pour le renforcement de la démocratie et de l’unité nationale.
Par Léon Engulu III
Agrégé de philosophie
Ingénieur agronome
Ancien Coordonnateur a.i du Mécanisme National de Suivi
25 mai 2023