Des états généraux des transports en RDC

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A la suite du naufrage sur lac Kivu le jeudi 03 octobre 2024 et de la décision du VPM et Ministres des Transports, Voies de Communication et Désenclavement d’instruire le Secrétaire Général aux Transports d’entamer des poursuites judiciaires contre les commissaires fluviaux et le propriétaire du navire naufragé , nous avions écrit à l’Editeur du Journal pour souligner le besoin de tenir des états généraux sur les questions de transports maritime, fluvial et lacustre .

Ensuite, après analyse, nous avons jugé nécessaire de proposer carrément des états généraux qui concernent tous les sous-secteurs des transports, en vue de la refonte intégrale de ce secteur en RDC. Les lignes qui suivent présentent l’économie de l’argument justifiant ce choix.

Une des principales caractéristiques des pays sous-développés c’est d’avoir des économies déstructurées et désarticulées . La déstructuration et la désarticulation de l’économie se situent au niveau physique et métaphysique ; elles consistent en ce que des activités des différents secteurs de l’économie ne se superposent pas les unes sur les autres, en un ensemble harmonieux. Elles privent une économie de la possibilité de constituer un tout qui fonctionne comme un système. Elles empêchent plusieurs localités du territoire national d’avoir des échanges commerciaux entre elles. Ces deux caractéristiques du sous-développement sont utilisées ici dans le domaine des transports, pour illustrer comment la RDC demeure une économie déstructurée et désarticulée.
La société publique connue sous le nom de Société commerciale des transports de de ports SCTP est une émanation de l’Office d’exploitation des transports coloniaux OTRACO, créé en 1935 sous le Congo-Belge, puis de l’Office National des Transports ONATRA, de 1971. La transformation de l’établissement public Otraco en entreprise publique ONATRA s’était opérée à la faveur d’une reforme conseillée au gouvernement d’alors par la Banque mondiale. De même, le passage de l Onatra a la SCTP s’est faite sur fonds des avis toujours intéressés de nos partenaires extérieurs, sous l’égide du Copirec en 2008.
Dans un autre sous-secteur, le rôle du chemin de fer reliant Kinshasa et Matadi, conçu à la fin du 19e siècle comme moyen sur de relier le Congo a la Belgique via l’océan atlantique et géré par la Compagnie du chemin de fer du Congo, ensuite par l’Onatra à partir de 1971, doit être repensé, en lien étroit avec les autres chemins de fer qui relient d’autres parties de la République tels Sakania/Ilebo, Kamina/Kindu, Tenke/Dilolo, Kabale/Kalemie, Ubundu/Kisangani, Bumba/Mungbere, etc. dans l’optique de créer un marché intégré sur l’étendue du territoire national, pour une économie nationale au service du Congo.
Les transports aérien et routier ne sont pas en reste. Le contexte de la création de la compagnie nationale d’aviation Air-Congo en 1961 a évolué. Les enjeux de la gestion de l’espace aérien de la RDC demeurent ; en revanche, de nouveaux problèmes comme le passif non soldé laissé par Air-Zaïre, LAC, et tout récemment Congo Airways, l’ouverture du Congo au monde, etc. surgissent et ont besoin des solutions adaptées. Les transports routiers urbains et interprovinciaux, le contrôle technique des véhicules, l’acquisition des permis de conduire, la gestion des corridors Est, Sud, Ouest et Nord sont autant des questions du sous-secteur route, qui doivent être considérées prenant en compte la nécessité d’avoir une économie nationale intégrée et le rôle de notre territoire national dans l’intégration régionale africaine, etc.
Aussi, la question se pose-t-elle de savoir quand est ce que les congolais vont-ils eux-mêmes penser et concevoir un système de transports qui répondent aux besoins de développement du pays et qui assurent la sureté et la sécurité tant aux passagers, aux usagers qu’ aux tiers? ce questionnement est d’autant plus pertinent que nous assistons aujourd’hui à beaucoup d’initiatives, publiques et privées, dans le domaine des transports par voie d’eau et par voie terrestre, initiatives parfois opposées les unes aux autres, perpétuant et aggravant ainsi le sous-développement du pays, au lieu de l’en sortir. A titre d’exemples, nous citons la floraison des ports privés, ports que l’autorité publique a fermés à plus d’une reprise sans gros succès . Nous citons aussi le développement du transport lacustre sur le lac Kivu, grâce à des entrepreneurs prives, exploitant des navires qui transportent parfois indistinctement marchandises et passagers, avec tous les risques d’accidents reportés dans la presse. Nous citons également, le manque d’infrastructure portuaire le long de notre fleuve, de ses affluents ainsi que sur nos lacs, alors qu’il s’agit là d’un sous-secteur capable de créer des milliers d’emplois dans le pays et ainsi résorber le taux de chômage dans nos villes et campagnes. Nous citons enfin le phénomène récent des taxis-moto qui n’épargne ni nos villes ni nos campagnes.
Les réponses unilatérales du gouvernement ou du ministère des transports, seules, ne suffisent pas pour solutionner ces problématiques dans tous leurs aspects techniques. Il est temps que nous posions un moment en tant de Nation, pour réfléchir sur la place des transports dans l’économie nationale et sur la valeur économique qu’apporte chaque organisme public créé par l’Etat dans ce domaine. Ce serait aussi l’occasion de réfléchir sur ce que nous attendons faire de notre voie naturelle de communication, représentée par le fleuve et ses nombreux affluents. Il est aussi temps que nous puissions définir le rôle que doivent jouer nos ports et aéroports, existants ou à créer, tant pour la croissance du commerce international que pour la circulation aisée des personnes et des marchandises du nord au sud, de l’est à l’ouest du territoire national. Ce faisant, nous pouvons être amené à doter le pays d’un plan d’aménagement des infrastructures de transport et d’un marché unique et intégré de 100 millions de consommateurs, et contribuer ainsi à créer une classe des millionnaires congolais.
Imaginez un seul instant que le producteur des pommes de terre ou du fromage de Goma aient à distribuer ses produits sur tout le territoire national ; que les ananas, les mangues et les agrumes du Kasaï soient pris comme dessert à Bumba, à Lubero, à Kolwezi ou dans les casernes de Kotakoli et de Kitona ; que le poisson frais du lac Tanganyika soit consommé aussi bien à Kinshasa, à Madimba qu’à Popokabaka ; que le producteur du riz de Lodja ait des clients à Kamina, à Beni ou à Budjala ; que le pepsi ou les carreaux produits dans la zone économique spéciale de Maluku soient consommés à Mahagi, à Kasumbalesa, à Molegbe, à Dilolo et partout sur le territoire national ; que l’huile de palme produite à Kikwit alimente toutes les contrées du grand Katanga et du grand Kivu ! Tout ceci est possible grâce au dynamisme de nos entrepreneurs, mais surtout grâce à un réseau des transports qui vise à former un marché national intégré. Cela aura à coup sûr un effet multiplicateur sur l’économie nationale, en termes d’emplois créés et en termes de revenus supplémentaires générés pour les entrepreneurs et de taxe pour l Etat.
Ce moment de réflexion que nous appelons de nos vœux n’est rien d’autre que des états généraux des transports, avec l’objectif de contribuer à définir les politiques publiques dans les sous-secteurs du transport et surtout à mettre en exergue le rôle que les pouvoirs publics et le secteur privé doivent y jouer. Il est temps que les opérateurs privés soient informés de leur responsabilité en qu’entrepreneurs dans le domaine des transports ; il est aussi temps que l’Etat ait une idée claire des attentes de la population dans ce secteur ; de même, il est temps que le public soit sensibilisé sur le potentiel que renferme l’économie bleue, découlant de l’exploitation responsable de nos ressources maritimes, fluviales et lacustres. Les embouteillages dans la ville de Kinshasa et dans d’autres villes du pays devront aussi trouver une solution grâce aux échanges de ces assises.
Les parties suivantes sont censées prendre part à cette réflexion sous forme d’états généraux :
• Le gouvernement à travers les représentants des ministères de transports, infrastructure, portefeuille et économie, intérieur et ainsi que de la primature ;
• Le parlement à travers la sous-commission transports de la commission ecofin
• Les responsables provinciaux du département des Transports
• La fédération des entreprises du Congo
• Les entrepreneurs ayant investis dans les ports privés ou dans le matériel flottant (bateaux, barges, hors-bord, remorqueurs, pousseurs et navettes) ;
• Les entrepreneurs du transport routier (camion, bus, taxi)
• Les chercheurs et experts du domaine des transports
• Les membres de la sociétés civiles qui œuvrent dans le secteur des transports (avocats, journaliste, assurances, etc.)
• Les organismes publics qui s’occupent des transports : Sctp, Cvm, Cvf, Ogefrem, LMC, RVA, Congo Airways, l’Autorité de l’aviation civile, Transco, la commission nationale de prévention routière ;
• Les représentants des chantiers navals qui construisent des bateaux, barges et pousseurs made in RDC ;
• Les syndicats qui représentent les agents et cadres du secteur des transports, etc.
L’option politique fondamentale d’une économie libérale ou d’une économie sociale de marché, qui consacre le droit à la propriété individuelle ou collective et encourage l’esprit d’entreprendre telle que levée par la constitution du pays passe par la recherche de l’efficacité des investissements, par une gestion rationnelle des firmes ainsi que par la réduction des couts d’exploitation économique. Dans le domaine des transports, il est temps de questionner la situation de monopole de fait dont continuent encore à jouir certaines entreprises publiques, pourtant devenues des sociétés commerciales, comme l’Onatra, la SNCC. Une réflexion radicale s’avère nécessaire à ce niveau, réflexion qui doit tenir compte du cadre compétitif dans lequel l’activité commerciale est sensée se dérouler, de la nature stratégique de certaines infrastructures comme les ports et aéroports et surtout de l’engagement de l’Etat dans des activités commerciales.
Ces assises devraient mettre ensemble les professionnels de chaque sous-secteur des transports (eau, air, rail, route) avec les experts respectifs en vue de faire l’état des lieux de chaque sous-secteur, d’identifier les problèmes qui empêchent chaque sous-secteur de fonctionner de façon optimale et de proposer des pistes de solution a court, moyen et long, sous forme des politiques publiques ou de loi à adopter ou à amender. Le résultat de ces assises inspirera l’action du ministère des Transports, Voies de communication et Désenclavement dans son rôle de premier responsable de l’intégration économique nationale et régionale ; il inspirera aussi le ministre du Portefeuille dans ses efforts en cours pour reformer les entreprises du Portefeuille de l’Etat, celles du secteur des transports en particulier.
A l’ère où l’économie mondiale connaît une diminution générale des coûts logistiques dans les chaînes d’approvisionnement , il est impératif que la RDC se transforme dans ce domaine et se dote d’un cadre économique qui facilite la circulation des biens ainsi que la mobilité des personnes sur son territoire national, à moindre coût.
En faisant participer les acteurs du secteur à l’identification des problèmes et à la formulation des solutions, l Etat se dote lui-même des moyens de faire appliquer ses décisions avec la participation des citoyens dans le contexte démocratique tel que voulu par les lois de la RDC.

Dieudonné Nyandu KABONGO
Chercheur et doctorant en économie maritime
University of KwaZulu Natal
Tel. +27 61 28 36 288