Renouvellement de la composition de la Cour constitutionnelle congolaise: Se référer strictement à la Loi pour éviter de déstabiliser la Cour

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Depuis le 04 avril 2024, date du neuvième anniversaire de l’installation de la Cour constitutionnelle de la RDC, qui coïncide avec la fin de mandat de certains membres de cette Haute juridiction, le débat enfle aussi bien la toile que les médias traditionnels. Ce débat oppose deux tendances qui se disputent le monopole de la vérité sur cette épineuse question qui tient à la stabilité même de l’institution.

La première tendance est celle qui prône un renouvellement partiel et elle est incarnée par le Centre de Recherches et d’Etudes sur l’Etat de droit en Afrique(CREEDA), alors que la deuxième tendance est composée de diverses autres personnalités, essentiellement politiques et proches de la présidence de la République, qui avancent que le mandat de neuf juges de la CC est arrivé à échéance et par conséquent, on devrait procéder au renouvellement totale ou intégrale de la composition de cette Cour.

Puisque la Cour constitutionnelle est une institution importante pour la consolidation de l’Etat de droit et pour la stabilité des institutions de la République, il est recommandé que son sort ne soit pas traité avec légèreté, c’est-à-dire sur une base émotive, empreinte d’ambitions politiques ou dicté par des mobiles métajuridiques.
Dans un article que j’ai signé et paru dans le volume 5, édition 2020-2021 de l’Annuaire congolais de Justice Constitutionnelle(ACJC) et dont le titre était consacré au Recall des membres de la Cour constitutionnelle(pp.26-39), j’écrivais ce qui suit au sujet des fondements justificatifs de la stabilité du mandat des juges constitutionnels :
La fonction de dire le droit a souvent été au cœur d’une controverse qui évoque la légitimité dont disposent les juges pour pouvoir décider en dernier ressort. Cette controverse est davantage suscitée par la compétence reconnue aux juges constitutionnels de contrôler les actes des élus, eux qui disposent pourtant de la légitimité électorale, c’est-à-dire celle procédant de leur élection au suffrage universel direct. Dans cette optique, certains ont même avancé que le contrôle de constitutionnalité constitue « une anomalie démocratique ». Ce pouvoir de décider du sort de ceux qui ont reçu l’onction populaire par ceux qui n’en ont pas du tout place les juges dans une situation d’incessants ennuis provoqués par les politiques jaloux de leur légitimité électorale. Ainsi, ils peuvent, lorsqu’ils en ont les moyens, créer l’instabilité dans l’exercice du mandat des juges. C’est pour protéger les juges constitutionnels contre une telle instabilité que leur mandat a été entouré des garanties de stabilité. (Punga Kumakinga, P., « Le Recall des membres de la Cour constitutionnel. Une alternative à leur difficile révocabilité en droit congolais ? », Annuaire congolais de Justice constitutionnelle, Vol.5, 2020-2021, p.29).

On le voit, le mandat des juges constitutionnels a toujours été long et stable. Contrairement aux pays tels que la République Tchèque, la Colombie, le Guatemala, le Pérou ou la Bosnie-Herzégovine qui pratiquent le renouvellement intégral de leurs juridictions constitutionnelles, la RDC a opté pour le renouvellement partiel et à échéance déterminée. Voilà pourquoi, la Constitution et la Loi organique disposent que « La Cour est renouvelée par tiers tous les trois ans ». (Art. 158 al.4 de la Constitution et Art.6 al.2 de la Loi organique). Pour faciliter ce renouvellement tertiaire et à échéance de trois ans (renouvellement triennal), la loi introduisit le procédé de « tirage au sort » uniquement pour les deux premiers renouvellements (Art.6 al.2 et 116 al. 1er de la Loi organique), c’est-à-dire à la troisième et sixième année après l’installation de la Cour constitutionnelle. Et ce tirage n’a concerné que les membres de la première composition, ceux installés le 04 avril 2015, de telle sorte que six étaient censés quitter la CC lors de ces deux premiers renouvellements par tirage au sort, pour ne laisser que trois susceptibles d’accomplir le mandat normal de neuf ans. Les six membres tirés au sort ne devaient avoir droit qu’à un mandat qualifié de « spécial » par le législateur lui-même, à savoir de trois et six ans (Art.116 al.1er de la Loi organique). Et c’est justement cette disposition de la Loi qui échappent à ceux qui prétendent que tous les juges doivent partir à la neuvième année de la CC. Il est vrai qu’après le renouvellement de 2024, tous les juges auront désormais droit à un mandat plein de neuf ans, mais de manière alternative.
Ce système de renouvellement partiel et à échéance déterminée a l’avantage d’assurer « la préservation de la mémoire institutionnelle et une socialisation des nouveaux membres, parce qu’ils doivent pouvoir se familiariser avec leurs fonctions aux côtés de leurs pairs plus expérimentés, et ne pas introduire la cassure dans la mise en œuvre de la Constitution, tant du point de vue méthodologique que du point de vue substantiel ». (Tusseau, G., Contentieux constitutionnel comparé. Une introduction critique au droit processuel constitutionnel, Paris, LGDJ, 2021, p.559).
Toute la confusion à laquelle nous assistons aujourd’hui et qui alimente ce débat autour du renouvellement de la composition de la CC provient principalement de la non-organisation du tirage au sort en 2021 et subsidiairement de la nomination effectuée par le Président de la République en juillet 2020. Quoiqu’il en soit, la deuxième raison peut être minimisée d’autant plus que la Loi elle-même a prévu aussi cette hypothèse de fin des fonctions à la CC par la nomination à des fonctions incompatibles à celles de membre de la CC (Art.8 de la Loi organique et Art.9 du Statut des membres de la Cour). En effet, dispose l’article 8 de la Loi organique, « Le membre de la Cour nommé en remplacement de celui dont les fonctions ont pris fin avant terme achève le mandat de ce dernier. Il peut être nommé pour un autre mandat s’il a exercé les fonctions de remplacement pendant moins de trois ans ».
Ainsi, lorsqu’un juge a été nommé après le vide créé par le tirage au sort qui concernait son prédécesseur(c’est les cas de Nkulu qui avait succédé à Kalonda décédé tout juste avant le tirage au sort ; de Bokona qui avait succédé à Banyaku qui démissionna tout juste avant le tirage au sort ; de Ubulu qui avait succédé à Esambo qui démissionna tout juste avant le tirage au sort), il entame un autre mandat de neuf ans, après le mandat spécial de son prédécesseur clos par ce tirage au sort, même si celui de 2018 n’avait pas été organisé parce que jugé sans objet, le vide ayant été déjà créé par deux démissions et un décès dans les temps voisins dudit tirage et par les juges qui étaient de la première composition, c’est-à-dire directement concernés par cette épreuve. Il en est de même des juges Lumu, Yuma et Mandza nommés après le vide créé par le tirage au sort irrégulier de 2022(au lieu de 2021), qui sont censés avoir entamé un mandat plein de neuf ans en succession de Kaluba qui clôturait le mandat de six ans que devait exercer Lwamba ; de Funga et Mongulu, avec cette particularité que ce dernier clôturait le mandat spécial de six ans entamé par le juge Vunduawe en 2015.
Avec le fameux tirage au sort de 2022 qui clôturait les deux premiers renouvellements tertiaires, les trois survivants de la première composition étaient assurés de passer neuf ans de mandat normal à la CC. Il s’agit des juges Mavungu, Wasenda et Kilomba. Or, le troisième a été interrompu dans l’exercice de son « mandat plein » par une nomination à des fonctions incompatibles, à savoir juge à la Cour de cassation, en juillet 2020. C’est ici qu’il faut faire application de l’article 8 de la Loi organique qui dispose : « Le membre de la Cour nommé en remplacement de celui dont les fonctions ont pris fin avant terme achève le mandat de ce dernier ». C’est la situation qui correspond au juge Dieudonné Kamuleta qui a achevé le mandat de Noel Kilomba. Il pouvait, cependant, être nommé pour un autre mandat si et seulement s’il n’avait pas exercé plus de trois ans ; ce qui n’est pas le cas. (Art.8 in fine de Loi organique).
La situation de la juge Alphonsine Kalume est liée au sort qui était réservé au juge Ubulu. En effet, puisque Jean Ubulu avait entamé en 2018 un autre mandat plein de neuf ans, après le vide créé par la démission de Jean-Louis Esambo qui devait être soumis à l’épreuve du tirage au sort, sa nomination à la Cour de cassation en juillet 2020 interrompait ledit mandat de neuf ans au bout de deux ans seulement. De telle sorte que, le juge nommé en remplacement de Ubulu, en l’occurrence Alphonsine Kalume, achevait les sept ans de mandat laissés par son prédécesseur. Par conséquent, dans le décompte, il reste trois ans à la juge Alphonsine Kalume, exactement comme son collègue Bokona nommé en même temps que Jean Ubulu qu’elle a remplacé.
De ce qui précède, la stricte application de la Loi organique plaide pour le départ de trois membres supposés tous être de la première composition (Mavungu, Wasenda et Kamuleta), Dieudonné Kamuleta achevant ainsi le mandat de Noel Kilomba. Procéder autrement, pour des motifs inavoués, serait faire droit à l’arbitraire, ce qui est à la fois contraire et contradictoire aux pratiques en vigueur dans un Etat de droit. Si des indices sérieux de culpabilité pèsent sur tel ou tel autre juge, si un juge a déshonoré ses fonctions par des actes indignes de son rang et de son statut, le Statut des membres de la CC offre des voies légales à suivre. Halte donc à l’arbitraire !

Paulin PUNGA KUMAKINGA
Chercheur au CREEDA